Girondins et Jacobins, une bataille encore d'actualité

Publié le par Pierrick Hamon

Dans un excellent article du Monde (23 mars 2007) Xavier Ternisien relevait que le clivage jacobins-girondins ne recoupait pas vraiment la ligne de partage droite-gauche. Bel euphémisme en effet. Ainsi, en guise d’exemple, l’auteur évoque Michel Vauzelle, président socialiste de la Région PACA , dont les propositions hardies pour la régionalisation feraient bondir nombre de ses camarades du PS, et Adrien Zeller, Président UMP de la Région Alsace , pour qui « la droite n’est pas systématiquement jacobine et la gauche systématiquement décentralisatrice ».

 

 

 

Xavier Ternisien  aurait pu tout autant évoquer le projet initial de régionalisation proposé par le Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin, lequel projet fut victime d’un redoutable lobbying des jacobins de droite et de gauche associés pour l’occasion, on ne l’a alors pas assez relevé. La seule idée que des régions puissent librement choisir une organisation adaptée et, surtout, différenciée en fonction de leurs réalités et de leur histoire, avait provoqué une vraie panique jusque dans les hautes sphères de l’administration française. Ce projet,  en offrant la possibilité pour les régions qui le souhaiteraient, de supprimer ou modifier leurs départements,  ouvrait la porte à un changement fondamental.  Du jamais vu dans un pays où le Conseil Constitutionnel interprète la sauvegarde de l’unité nationale par le maintien d’un modèle uniforme.  Pourtant, en 1793 avec la  République naissante il s’en est fallu de peu pour que la donne soit inversée. L’avenir de l’Europe comme celui de notre pays en aurait été évidement changé. Dans quel sens ?  On ne refait pas l’Histoire, mais...

 

 

Ainsi, si le 31 mai 1793, la Convention , cernée par une foule de sans-culottes en armes, n’avait pas voté, par acclamations ( !), l’arrestation des 27 députés Girondins envoyés à l’échafaud, c’est une toute autre conception de l’Etat qui prévaudrait.

 

Le professeur Jacques Marseille* le rappelle opportunément : « Jacobins et Girondins étaient de la même génération et de la même origine sociale, mais ils avaient une conception différente de la République. Les jacobins rêvaient d’une République idéale et rigide qui imposerait à un peuple immature l’efficacité d’une structure et d’un gouvernement fort. 

 

Les Girondins par contre, avaient le gout de la nuance et de la contradiction et refusaient de choisir entre l’égalité et la liberté. Partisans d’une vraie décentralisation, ils  voulaient attribuer aux corps administratifs des départements les détails de l’administration intérieure en ne laissant au centre que la surveillance, la sociologie des organisations n’a rien inventé !. Les girondins étaient sensibles aux différences et aux variétés des coutumes qu’ils tenaient comme respectables. Répugnant aux mouvements de rue qui prétendent dicter leurs lois à l’Assemblée élue, ils avaient un profond respect pour la légalité. Fils du siècle des lumières, ils rejetaient tout ce que l’intelligence ne peut expliquer et la volonté dominer. Ayant en horreur  la démesure, ils dénonçaient les extrémistes royalistes et les montagnards. Non moins sensibles que leurs adversaires aux souffrances du peuple, ils voulaient les réduire réellement par la progressivité de l’impôt et surtout par l’instruction publique. Tandis que les Jacobins faisaient preuve d’un antiféminisme forcené, les Girondins défendaient au contraire les droits de la femme et réclamaient que celles-ci puissent être élues représentants du peuple…  On a violé le principe d’égalité des droits, écrivait Condorcet en 1789, en privant la moitié du genre humain du droit de concourir à la formation des lois. ».

 

 

Le retour du débat sur la Nation , qui étonne tant nos voisins européens, nous renvoie donc à 1793.  Il conviendrait toutefois de ne pas oublier la responsabilité, certes partagée, mais responsabilité tout de même, des Etats–Nations comme facteurs de division à l’origine des pires totalitarismes et des grands conflits qui ont ensanglanté l’Europe. Ne se sont ils pas constitués en écrasant les identités ? Girondins et Jacobins : le primat des Provinces d’un coté, la puissance de l’Etat-nation de l’autre. Le premier qualificatif frise encore souvent l’insulte…

 

 

 

Aujourd’hui comme hier, la même question se pose : peut-on être républicain et penser que des décisions importantes peuvent être prises ailleurs qu’à Paris, et qu’il faut moins d’Etat ? Joseph Rovan, le militant du rapprochement franco-allemand et le bâtisseur d’une Europe des citoyens, pose la question : le centralisme républicain n’est il pas devenu le garant d’une unité fictive, et le protecteur des égalités formelles au détriment de diversités visibles parce que réelles et efficaces ?

 

Si les valeurs de gauche et de droite demeurent, comment ne pas voir qu’elles ne suivent plus, et pas seulement en France, le clivage politique gauche-droite. La victoire des souverainistes, de droite et d’extrême droite comme de gauche et d’extrême gauche, au referendum sur le traité constitutionnel européen,  renforce l’idée que le vrai clivage ne serait plus aujourd’hui entre gauche et droite mais bien entre girondins et jacobins, entre libéraux et étatistes. La popularité inattendue de François Bayrou, même si elle ne se traduit pas immédiatement dans les urnes, n’en est elle pas l’une des expressions nouvelles ? La bataille des jacobins et des girondins  est assurément plus que jamais d’actualité.

 

 

Pierrick Hamon

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
T
meme si le clivage d-g existe encore, t'as quand même bien sentis le clivage souverainiste-centriste.<br /> Après sur les jacobins et girondins jsuis d'accord avec pierre.<br /> Jacobin veut pas dire centralisateur.<br /> Jacobin = Gauche.<br /> Ainsi les centralisateurs de droite ne sont pas jacobins mais pourrait on dire bonapartiste.
Répondre
S
Et c'est un bel article de girondins européiste =)
Répondre
P
<br /> La constitution de l'An I ne fait aucun tris et permet au plus grand nombre de voter. En revanche il est vrai que dans les faits, la participation sera surtout le fait de certains milieux très politisés comme les sans-culottes.<br /> En effet Bonaparte était jacobin quand les jacobins avaient le vent en poupe ce qui n'est guère étonnant quand on voit le pragmatisme de son parcours, mais toute sa politique sous le Consulat et l'Empire tranche avec le jacobinisme excepté, bien sûr, la centralisation. Mais la politique ne se résume pas à cette question. Dire que Bonaparte serait resté jacobin parce que comme eux il est pour la centralisation est un sophisme. A ce compte là on pourrait dire que Jacques Chirac est dans le même courrant qu'Arlette Laguilier parce qu'ils sont tout les deux contre la peine de mort.<br />
Répondre
S
Ces remarques sont justes, mais on connaît le sort de ces participations "populaires". Elles sont vite "démissionnées", et le vrai peuple est trié sur le volet, puis, régulièrement nettoyé de ses mauvais éléments. Le "vrai" peuple, ce serait effectivement celui qui se rassemble au NPA, très élitiste. Il me semble que Bonaparte, au début de son parcours révolutionnaire, était jacobin. Il l'était resté, la confiance dans le peuple en moins.Les tendances centrifuges de la société françaises constituent une constante. La réaction, "jacobine" ou étatique, à ces tendances, tend à les neutraliser. 
Répondre
P
<br /> Excusez-moi mais en tant que connaisseur de la Révolution je me permet d'apporter des rectifications à quelques unes des grosses erreurs historiques contenues dans le texte.<br /> Il est totalement faux de dire que les Girondins défendaient le droit des femmes, Condorcet était une exception et encore n'était-il pas tout à fait Girondin mais beaucoup plus ecclectique que cela même si il a pris leur défense après leur proscription.<br /> Dire que les jacobins voulaient un pouvoir fort pour l'imposer à un peuple immature est aussi archi-faux, car ce sont eux qui ont le plus défendu la démocratie directe et universelle (masculine évidemment à l'époque), d'ailleurs la constitution de l'An I qu'ils ont élaboré (et qui n'aura pas le temps d'être appliquée) donne un rôle bien plus important au peuple que la précédente.<br /> Par ailleurs rappelons que le clivage girondins/jacobins dépasse largement la simple question de la centralisation mais se situe surtout au niveau des droits sociaux et du radicalisme à appliquer contre les "ennemis de la révolution". Le contexte de crise extrême de l'époque expliquant largement ce dernier point.<br /> Voilà pourquoi le courant politique actuel qui aurait le plus à se revendiquer des jacobins serait plutôt l'extrême gauche, tandis que la droite conservatrice et centralisatrice aurait plus à se réclamer du bonapartisme. En revanche il n'est pas faux de comparer la droite, le centre et la gauche libérale à la "Gironde" de la Révolution.<br />
Répondre