Le retour de la France dans l'OTAN, signe la fin des hypocrisies

Publié le par Nicole Bacharan

Par Nicole Bacharan, pour Le Figaro du 11 04 08...


Atlantisme ! Voilà une fois encore le grand mot lâché ! La décision française de réintégrer pleinement l'Otan s'apparenterait donc, selon nombre de commentaires, à une trahison, l'indépendance nationale serait menacée, l'esprit du général de Gaulle, que la gauche invoque avec dévotion, bafoué… Et on agite le spectre de la soumission honteuse à l'Amérique.

Outre leur démagogie évidente (en France, on croit toujours payant auprès de l'opinion de fustiger l'Amérique, mais est-ce si sûr ?), ces protestations se fondent sur un certain nombre de contrevérités, souvent doublées d'hypocrisies.

Première contrevérité : «Si la France avait fait partie de la structure militaire intégrée de l'Otan en 2003, elle se retrouverait aujourd'hui engagée en Irak.» C'est faux : l'Otan n'est pas présente en Irak. Plusieurs pays membres de l'Alliance, dont l'Allemagne, en sont absents et ont fait valoir leur opposition à la guerre. Les décisions au sein de l'Otan se prennent à l'unanimité. En conséquence, aucun État membre ne peut être contraint de participer à une intervention qu'il désapprouve.

Deuxième contrevérité : «L'Otan n'aurait plus de raison d'être depuis la fin de la guerre froide.» Une telle vision conduit à renoncer sans état d'âme à toute intervention extérieure au nom de l'Alliance qui ne s'est pourtant engagée, jusqu'à présent, que dans des opérations de maintien de la paix en liaison avec l'ONU. Cela revient aussi à dire que la Russie de Poutine et de Medvedev, de la guerre en Tchétchénie et des assassinats de journalistes, ne devrait en rien nous inquiéter. Exit toute menace à l'Est, vraiment ? Certains vont même jusqu'à affirmer que, si la Russie se durcit, c'est parce qu'elle se sent «encerclée». Par qui ? Croit-on vraiment qu'elle ait à craindre les ambitions de ses anciens satellites ? Ou que les États-Unis voudraient faire de l'Otan un outil de conquête de la Russie ?

Troisième contrevérité : «l'élargissement de l'Otan aux anciens pays de l'Est ne servirait qu'un dessein purement américain.» C'est faire bon marché de l'intérêt et de la volonté des peuples des anciennes démocraties populaires et républiques soviétiques qui désirent s'ancrer dans un ensemble démocratique, à la fois dans l'Europe et dans l'Alliance atlantique. C'est oublier qu'ils recherchent ainsi une garantie de leur souveraineté face aux éventuelles tentations de domination russe. Il est vrai que nous, Européens de l'Ouest, avons rarement raté l'occasion, dans l'histoire, de montrer que leur liberté ou leurs choix nous importaient peu.

Quatrième contrevérité : «l'Afghanistan serait un problème exclusivement américain.» La France ne serait donc pas concernée par le creuset terroriste afghan ? Serions-nous en train de nous boucher les oreilles pour ne pas entendre les terroristes eux-mêmes proclamer leur haine «des Juifs et des croisés» où qu'ils se trouvent ? Il ne s'agit pas ici d'approuver sans discuter l'envoi de nouveaux soldats français, qui vont risquer leur vie dans un conflit aussi dangereux qu'incertain. Mais toute réflexion sur ce sujet doit commencer par cette prise de conscience : les terribles menaces dont est porteuse la situation afghane concernent toutes les démocraties, France incluse.

Cinquième contrevérité : «Le plein retour de la France dans l'Otan signerait la fin de la défense européenne.» Si la France réintègre l'Otan, n'est-ce pas précisément parce qu'il n'y a pas de défense européenne ? Le général de Gaulle a quitté l'Organisation militaire intégrée de l'Otan en 1966 ; pendant ces quarante-deux ans, l'Europe n'a pas pour autant construit une défense ou une politique étrangère communes. Il n'existe actuellement qu'une juxtaposition de budgets de la défense et d'équipements nationaux redondants et souvent incompatibles entre eux. Le seul espoir de bâtir une vraie politique européenne de sécurité et de défense (Pesd) se trouve dans la concertation et non dans une concurrence vaine avec l'Otan. Venons-en aux hypocrisies. La première, c'est d'oublier que depuis 1945, la défense et l'indépendance françaises se sont construites à l'abri du parapluie nucléaire américain. Cette protection fut bien utile à la France pour construire sa force de frappe et conduire une diplomatie indépendante. La seconde hypocrisie, c'est aussi d'oublier que, même «au rabais», la France est restée membre de l'Alliance atlantique et n'en a jamais quitté les instances politiques. De surcroît, depuis 2003, des officiers français sont à nouveau «insérés» au sein du Shape (état-major des puissances alliées en Europe). En somme, un retour complet dans l'Otan n'est pas un changement de politique majeur, mais plutôt une clarification. Et c'est pour cela qu'elle suscite tant de hargne : toutes ces voix effarouchées veulent bien d'une alliance avec l'Amérique, mais surtout que cela ne se voit pas.

La France dans l'Otan perdra-t-elle vraiment sa liberté d'action et d'expression ? Rassurons-nous : à peine a-t-elle annoncé son retour dans l'Alliance que la France s'oppose et c'est bien dommage à la demande américaine d'ouvrir les portes de l'Otan à la Géorgie et à l'Ukraine. Et elle réclame une place de choix pour l'Europe et pour elle-même dans le commandement militaire de l'Otan, ce qui serait justice (elle a toutes les chances d'être entendue). Sont-ce vraiment des marques de vassalisation ?

Reconnaissons-le : en absence d'une Europe de la défense, qu'il serait urgent de mettre en œuvre, la seule option réaliste qui s'offre à la France est de construire un atlantisme équilibré, dans lequel l'Europe, France en tête, jouera un rôle de partenaire fiable et actif avec les grandes démocraties, dont les États-Unis. Il faut en finir avec les postures de matamore d'un autre temps et cet antiaméricanisme hypocrite. La France ne doit pas feindre de se démarquer de l'Otan. Elle doit redevenir l'un de ses leaders, et elle aura assurément plus d'influence en étant à l'intérieur. À l'évidence, dans le monde incertain d'aujourd'hui, indépendancese conjugue avec alliance.

Nicole Bacharan
Le Figaro 11 04 08

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D
bravo madame bacharan et respect envers une journaliste honnete et sans langue de bois qui nous sauvent de tant d'autres plus idéologues et pensée unique que jamais. cf la faillite de notre presse nationnale qui vit au crochet des contribuables!!!!!!!
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M
Quelle analyse lumineuse, qui fait litière de tous les bobards rapportés par les anti américains de type socialistes ou Villepino gaullistes ( et notamment de cette sottise selon laquelle notre appartenance à l'OTAN nous aurait conduit à la guerre en Irak). Cette analyse devrait permettre un vrai débat sur un moment important de la "rupture"....
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