Alliance atlantique: en être ou pas?

Publié le par Jean-Claude CASANOVA, pour Le Monde

par Jean-Claude Casanova

LE MONDE | 21.05.08 | 14h10  




 Signe des temps, on vient de publier les documents diplomatiques français du premier semestre de 1966. La fameuse décision du général de Gaulle, le 21 février 1966, de quitter la structure militaire intégrée de l'OTAN, et donc de rompre avec l'Organisation atlantique, y est expliquée. Cette publication coïncide avec l'initiative de Nicolas Sarkozy "ouvrant la porte, pour la France, à une rénovation forte de ses relations avec l'OTAN" et avec sa décision d'augmenter nos effectifs en Afghanistan. Voila un sujet pour lequel on ne reprochera pas au président de la République de chercher la popularité puisqu'il brave l'opinion.

Pour repasser une porte, encore faut-il l'avoir passée. Dès l'origine, la décision du général était ambiguë. Ses successeurs l'ont vidée de sa substance, mais sans renoncer à la posture avantageuse qu'elle offrait. De Gaulle voulait modifier l'Organisation sans altérer l'Alliance. Il quittait les commandements intégrés et retirait les troupes mises à leur disposition, en avançant trois arguments. Les régimes communistes de l'Est devenaient moins menaçants. Les Etats-Unis risquaient de nous impliquer dans des conflits lointains, au Vietnam et en Chine, "d'où pourrait sortir une conflagration générale où l'Europe serait entraînée". Enfin, la France se dotait d'une arme atomique "dont la nature interdit qu'elle soit intégrée".

Les Américains, évidemment, le critiquèrent. L'entrée des chars soviétiques à Prague, à l'été 1968, puis la fin de la guerre du Vietnam et leur réconciliation avec la Chine donnèrent raison aux Etats-Unis. Ils plaidèrent que l'Alliance était un tout et que c'était l'affaiblir que d'affaiblir l'Organisation. Leur rôle sur notre continent tenait à leur puissance générale et à la présence de leurs forces, qui défendaient l'Europe occidentale en dissuadant l'URSS, dont l'armée campait à Berlin.

Il était évident que la France bénéficiait de l'OTAN. Mais elle voulait, comme le disait le général de Gaulle au chancelier Konrad Adenauer, en mars 1966, en lui "livrant le fond de sa pensée", à la fois "garder l'Alliance" et "reprendre sa souveraineté". Il souhaitait qu'un double retrait s'opère, un jour, en Europe, celui des Russes et celui des Américains. Le général, toutefois, ne résolvait pas deux questions : dans l'immédiat, sa décision divisait les Européens et, dans l'avenir, il n'y aurait pas d'union politique entre eux sans abandons réciproques de souveraineté.

Depuis, les successeurs du général ont réduit la fracture. Dès 1974, à Ottawa, les alliés ont reconnu que la dissuasion nucléaire française contribuait à la sécurité de l'Alliance. En 1979, au sommet restreint de la Guadeloupe, Valéry Giscard d'Estaing a encouragé - discrètement mais résolument - l'engagement d'engins nucléaires américains à moyenne portée, les fusées Pershing, en Allemagne. En 1983, François Mitterrand a affirmé avec éclat, devant le Bundestag, la solidarité de la France avec leur installation. En 1995, Jacques Chirac acceptait que l'OTAN, avec des troupes françaises, pacifie la Bosnie. En 1996, le même président souhaitait rapprocher notre pays des structures militaires de l'OTAN et invoquait la proposition de John Kennedy d'un "pilier européen" au sein de l'Alliance.

En 1999, M. Chirac autorisait des avions français, sous commandement de l'OTAN, à bombarder Belgrade, capitale du plus ancien allié de la France dans les Balkans. Enfin, depuis 2003, des troupes françaises, au sein de l'OTAN, sont engagées, hors d'Europe, pour instaurer la démocratie dans les montagnes de l'Afghanistan, ce qui est un pari difficile et dangereux. Nous avons refusé, à bon escient, de participer à la seconde guerre d'Irak. L'OTAN n'était pas concernée et la décision de 1966 n'a joué aucun rôle dans cette affaire, mais la ferveur avec laquelle nos dirigeants ont justifié ce geste prudent a revivifié la posture gaulliste, que l'impopularité de cette guerre justifie.

UNE SINGULARITÉ QUI AGACE OU INQUIÈTE

La situation aujourd'hui est la suivante. Nous jouons un grand rôle dans les actions que mène l'OTAN. Nous ne participons ni au commandement intégré, ni au comité des plans, ni à celui du nucléaire. Nous sommes dans l'Organisation, mais à notre manière, sans le dire clairement. Cette singularité rehausse notre prestige à nos propres yeux. Elle peut agacer ou inquiéter nos alliés. Le danger soviétique a disparu. D'autres sont apparus, hors d'Europe et moins évidents.

La disproportion des forces entre l'Europe et les Etats-Unis persiste : d'ailleurs l'intervention au Kosovo aurait été impossible sans eux. L'Amérique souhaite que les Européens l'aident à supporter le fardeau de la puissance mondiale. Mais ici, l'Europe se divise. Certains voudraient qu'elle exerce plus de responsabilités dans le monde, et dispose d'une défense forte et autonome. D'autres s'en remettent aux Etats-Unis et n'entendent ni augmenter leurs armements ni jouer un rôle mondial.

Nicolas Sarkozy, lui, souhaite deux choses : normaliser la place de la France dans l'OTAN et renforcer la politique européenne de défense. Ses deux objectifs sont complémentaires et se conditionnent mutuellement. La réalisation du premier augmenterait l'influence française, et celle de l'Europe, dans l'Alliance, qui, de toute façon, décide de ses actions à l'unanimité. Le second objectif tire son sens de la volonté d'unir politiquement l'Europe. Les rapports avec l'Amérique constituent le clivage essentiel entre Européens. Cette divergence freine donc leur intégration. On peut conserver, pire encore accentuer, ce désaccord, ou bien le réduire. Si on l'accentue ou si on le conserve, on renonce à l'Europe politique. Si on le réduit, on pourra progresser.

La nouvelle vision française admet que, puisque le désengagement atlantique contredit l'engagement européen, le réengagement atlantique le conforte. Mais il faut convaincre l'opinion que l'abandon d'une posture populaire sera conforme à nos intérêts profonds. Il faut, aussi, que nos alliés européens se convainquent de notre détermination et qu'ils la partagent. Enfin, il faudra que la future administration américaine fasse, en contrepartie et réellement, le pari d'une Europe forte. Nos institutions ont été bâties pour favoriser la vision à long terme de la politique étrangère et pour rendre le président de la République indépendant de l'opinion. On soutiendra paradoxalement que, s'il fait prévaloir cette vision sur cette posture, Nicolas Sarkozy, en contredisant de Gaulle, se montrera vraiment gaulliste.


Courriel : jcc@commentaire.fr

Editorialiste associé

Jean-Claude Casanova pour "Le Monde"

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