Six ans après le 11 septembre, osons rêver d'un New Deal international
Par Nicole Bacharan, politologue, spécialiste des États-Unis, auteur notamment de Faut-il avoir peur de l'Amérique ? et de Pourquoi nous avons besoin des Américains (Seuil). Le Figaro 11 septembre 2007
Depuis les attaques du mardi 11 septembre 2001, six ans ont passé et deux pompiers new-yorkais viennent encore de mourir dans l'incendie d'un immeuble du World Trade Center, un vestige en cours de « décontamination ». Six ans ont passé, et Ground Zero reste un chantier, une blessure visible en plein Manhattan, symbole d'un pays qui peine à imaginer son futur et à trouver la juste réponse à la tragédie.
Non, l'Amérique n'arrive toujours pas à penser le 11 Septembre. Il ne s'agit pas de « l'expliquer » par une prétendue culpabilité américaine : assassiner 3 000 personnes innocentes n'aura jamais ni sens ni justification. Il s'agit de comprendre la planète nouvelle, née ce jour-là, frappée par un totalitarisme qui, cette fois, se dit religieux, global et s'appelle islamisme, mais relève toujours de la millénaire pulsion de haine. Comment s'inscrire dans le monde de l'après 11 Septembre ? Quel rôle pour les États-Unis, mais aussi pour la France ?
Il y a six ans, George W. Bush lançait des cris de guerre à l'adresse des terroristes : « Morts ou vifs ! Nous les traduirons en justice ! » Aujourd'hui, selon la dernière évaluation des services secrets américains, la menace d'al-Qaida est aussi forte, sinon plus forte qu'en 2001 ! Ben Laden reste introuvable ; en Afghanistan, les talibans relèvent la tête, on fabrique des apprentis kamikazes à foison ; en Irak, les djihadistes affluent pour alimenter la guerre civile ; l'Iran intégriste défie l'ONU, soutient le régime syrien, le Hezbollah libanais, le Hamas palestinien ; l'Arabie saoudite abrite une pépinière d'imams wahhabites ; et l'islamisme radical se répand dans le monde arabe, au Pakistan, en Afrique, en Indonésie. Triste, triste bilan.
George W. Bush n'a servi que son obsession et s'est perdu dans le trou noir irakien. On le sait, cette guerre-là était mal justifiée, mal préparée, mal conduite, et elle a ébranlé la démocratie américaine elle-même. Erreur de stratégie ? Mais aussi de jugement : l'Irak n'était pas une réponse au 11 Septembre et, si l'arsenal policier et militaire fait partie des ripostes nécessaires, à l'évidence, il ne suffit pas. Contrairement à ce que croyait George W. Bush, la planète n'est pas divisée en deux camps, les bons et les méchants ; les terroristes ne sont pas davantage les soldats d'une organisation cohérente et centralisée. Il y a les kamikazes, les assassins, les sponsors, qui souvent se haïssent. Mais il y a aussi les demi-soldes, les désoeuvrés, les paumés, les opportunistes, les profiteurs, tous ceux qui peuvent, si on les pousse un peu, basculer du côté de leurs intérêts, voire de la raison. Bref, tous ceux qui ont quelque chose à perdre et donc... à négocier. Il est temps d'en tirer la leçon.
Dans un peu plus d'un an, les États-Unis vont tourner la page de la présidence Bush et élire peut-être la première femme (Hillary Clinton), le premier Noir (Barack Obama) ou le premier Italo-Américain (Rudy Giuliani). Mais le monde ne peut attendre l'investiture du gagnant en janvier 2009. Que peut la France dans cette galère ? D'abord, aider à lancer de nouveaux processus de négociation (le refus américain de parler à la Syrie ou à l'Iran, pour ne pas légitimer ces régimes, était honorable mais s'est révélé contre-productif). Il faut rechercher des pistes d'apaisement en tentant d'impliquer le plus d'acteurs possibles : tribus, communautés ethniques et religieuses, mais aussi gouvernements tenaillés par la peur de leur propre chute. Bien sûr, ces tentatives doivent être menées avec une extrême prudence, en concertation étroite avec les partenaires européens et américains, en combinant l'écoute, les promesses, les pressions et aussi les menaces. Oui, il faut accepter de nouveau une forte dose de realpolitik, même si celle-ci n'alimente guère la bonne conscience. Yitzhak Rabin le disait : « Ce n'est pas avec ses amis que l'on est obligé de faire la paix. » Mais bien avec ses ennemis. La France dispose d'une compétence diplomatique et de réseaux d'interlocuteurs qu'elle peut mobiliser. Dans le nouveau paysage géopolitique, elle peut être l'initiatrice d'une autre réponse au 11 Septembre, le moteur d'une vaste offensive diplomatique internationale.
Pour cela, il faut aussi aider l'Amérique et ses alliés (pas seulement ceux présents en Irak) à retrouver une légitimité politique et une autorité morale. La légitimité ne pourra venir que de la construction patiente de positions communes, non seulement entre Occidentaux, mais avec le maximum de capitales arabes, sans oublier - c'est essentiel ! - la contribution des démocrates et dissidents venus du monde musulman. L'autorité morale, elle, exige notre fidélité à nos propres lois (honte à Guantanamo, à Abou Ghraïb, mais aussi à notre passivité face au Darfour !) ainsi que l'affirmation sans complexe de l'universalité des droits de l'homme. Non, ceux-ci ne sont pas le privilège de quelques-uns. À la mondialisation de la terreur, opposons la mondialisation des valeurs humanistes ! La liberté de penser, de s'exprimer, de s'aimer, de choisir ses élus, d'avoir ou non une religion, est un progrès incontestable. Affirmons-les sans peur ! Cette bataille « pour les coeurs et les esprits », menons-la tous - et nous aussi, les citoyens - par le débat, l'éducation, l'art, la culture, en tendant la main à tous ceux qui, à travers le monde, défendent les libertés individuelles et l'égalité entre hommes et femmes.
Il faut oser rêver un New Deal international. Oser tenter de le construire. La France pourrait y jouer un rôle majeur. Cela implique bien sûr d'en finir avec les aigreurs de l'antiaméricanisme, et de jeter les bases d'un nouvel atlantisme, un équilibre constructif entre l'Europe et les États-Unis. Le voyage de Bernard Kouchner en Irak, la visite prochaine de Nicolas Sarkozy à New York vont dans ce sens. Penser le 11 Septembre n'est pas la responsabilité des seuls États-Unis. C'est plus que jamais la nôtre.
Nicole Bacharan
Non, l'Amérique n'arrive toujours pas à penser le 11 Septembre. Il ne s'agit pas de « l'expliquer » par une prétendue culpabilité américaine : assassiner 3 000 personnes innocentes n'aura jamais ni sens ni justification. Il s'agit de comprendre la planète nouvelle, née ce jour-là, frappée par un totalitarisme qui, cette fois, se dit religieux, global et s'appelle islamisme, mais relève toujours de la millénaire pulsion de haine. Comment s'inscrire dans le monde de l'après 11 Septembre ? Quel rôle pour les États-Unis, mais aussi pour la France ?
Il y a six ans, George W. Bush lançait des cris de guerre à l'adresse des terroristes : « Morts ou vifs ! Nous les traduirons en justice ! » Aujourd'hui, selon la dernière évaluation des services secrets américains, la menace d'al-Qaida est aussi forte, sinon plus forte qu'en 2001 ! Ben Laden reste introuvable ; en Afghanistan, les talibans relèvent la tête, on fabrique des apprentis kamikazes à foison ; en Irak, les djihadistes affluent pour alimenter la guerre civile ; l'Iran intégriste défie l'ONU, soutient le régime syrien, le Hezbollah libanais, le Hamas palestinien ; l'Arabie saoudite abrite une pépinière d'imams wahhabites ; et l'islamisme radical se répand dans le monde arabe, au Pakistan, en Afrique, en Indonésie. Triste, triste bilan.
George W. Bush n'a servi que son obsession et s'est perdu dans le trou noir irakien. On le sait, cette guerre-là était mal justifiée, mal préparée, mal conduite, et elle a ébranlé la démocratie américaine elle-même. Erreur de stratégie ? Mais aussi de jugement : l'Irak n'était pas une réponse au 11 Septembre et, si l'arsenal policier et militaire fait partie des ripostes nécessaires, à l'évidence, il ne suffit pas. Contrairement à ce que croyait George W. Bush, la planète n'est pas divisée en deux camps, les bons et les méchants ; les terroristes ne sont pas davantage les soldats d'une organisation cohérente et centralisée. Il y a les kamikazes, les assassins, les sponsors, qui souvent se haïssent. Mais il y a aussi les demi-soldes, les désoeuvrés, les paumés, les opportunistes, les profiteurs, tous ceux qui peuvent, si on les pousse un peu, basculer du côté de leurs intérêts, voire de la raison. Bref, tous ceux qui ont quelque chose à perdre et donc... à négocier. Il est temps d'en tirer la leçon.
Dans un peu plus d'un an, les États-Unis vont tourner la page de la présidence Bush et élire peut-être la première femme (Hillary Clinton), le premier Noir (Barack Obama) ou le premier Italo-Américain (Rudy Giuliani). Mais le monde ne peut attendre l'investiture du gagnant en janvier 2009. Que peut la France dans cette galère ? D'abord, aider à lancer de nouveaux processus de négociation (le refus américain de parler à la Syrie ou à l'Iran, pour ne pas légitimer ces régimes, était honorable mais s'est révélé contre-productif). Il faut rechercher des pistes d'apaisement en tentant d'impliquer le plus d'acteurs possibles : tribus, communautés ethniques et religieuses, mais aussi gouvernements tenaillés par la peur de leur propre chute. Bien sûr, ces tentatives doivent être menées avec une extrême prudence, en concertation étroite avec les partenaires européens et américains, en combinant l'écoute, les promesses, les pressions et aussi les menaces. Oui, il faut accepter de nouveau une forte dose de realpolitik, même si celle-ci n'alimente guère la bonne conscience. Yitzhak Rabin le disait : « Ce n'est pas avec ses amis que l'on est obligé de faire la paix. » Mais bien avec ses ennemis. La France dispose d'une compétence diplomatique et de réseaux d'interlocuteurs qu'elle peut mobiliser. Dans le nouveau paysage géopolitique, elle peut être l'initiatrice d'une autre réponse au 11 Septembre, le moteur d'une vaste offensive diplomatique internationale.
Pour cela, il faut aussi aider l'Amérique et ses alliés (pas seulement ceux présents en Irak) à retrouver une légitimité politique et une autorité morale. La légitimité ne pourra venir que de la construction patiente de positions communes, non seulement entre Occidentaux, mais avec le maximum de capitales arabes, sans oublier - c'est essentiel ! - la contribution des démocrates et dissidents venus du monde musulman. L'autorité morale, elle, exige notre fidélité à nos propres lois (honte à Guantanamo, à Abou Ghraïb, mais aussi à notre passivité face au Darfour !) ainsi que l'affirmation sans complexe de l'universalité des droits de l'homme. Non, ceux-ci ne sont pas le privilège de quelques-uns. À la mondialisation de la terreur, opposons la mondialisation des valeurs humanistes ! La liberté de penser, de s'exprimer, de s'aimer, de choisir ses élus, d'avoir ou non une religion, est un progrès incontestable. Affirmons-les sans peur ! Cette bataille « pour les coeurs et les esprits », menons-la tous - et nous aussi, les citoyens - par le débat, l'éducation, l'art, la culture, en tendant la main à tous ceux qui, à travers le monde, défendent les libertés individuelles et l'égalité entre hommes et femmes.
Il faut oser rêver un New Deal international. Oser tenter de le construire. La France pourrait y jouer un rôle majeur. Cela implique bien sûr d'en finir avec les aigreurs de l'antiaméricanisme, et de jeter les bases d'un nouvel atlantisme, un équilibre constructif entre l'Europe et les États-Unis. Le voyage de Bernard Kouchner en Irak, la visite prochaine de Nicolas Sarkozy à New York vont dans ce sens. Penser le 11 Septembre n'est pas la responsabilité des seuls États-Unis. C'est plus que jamais la nôtre.
Nicole Bacharan