L'étau des taux

Publié le par Jean-Louis Caccomo

Par Jean-Louis Caccomo...

Les hommes sont souvent ingrats, doutant à chaque soubresaut des vertus du système qui les nourrit. Pourtant, même si la crise en cours est toute relative, même si j’entends parler de « crise » depuis trois décennies, nous vivons le ralentissement d’une euphorie qui a permis au monde de connaitre une période d’expansion sans équivalent dans l’histoire. Certes, en raison de ses nombreuses exceptions persistantes et revendiquées, la France est passée à côté de cette période de croissance mondiale. Pourtant, toujours prompts à commenter le court-terme immédiat sans aucune mise en perspective, les refrains interventionnistes les plus étroits ont repris de la voix tandis que les médias sont trop heureux de se faire les relais de ce concert de lamentations savamment orchestrées sur fond de vagues roses [1].

Je le comprends de la part de monsieur Emmanuelli qui saute sur l’occasion pour accuser la dérégulation alors qu’elle a permis le décollage de pays que l’on disait condamnés à être pauvres. Ces pays étaient pauvres parce qu'ils persistaient à s'enfermer dans la planification centrale imposée par des régimes socialistes et autoritaires. Mais les discours actuels des ministres en place ne cessent de me surprendre sinon de me lasser tant ils renvoient à des débats largement dépassés. Christine Lagarde, ministre de l’économie et des finances, a de nouveau appelé la Banque Centrale Européenne à prendre en compte la croissance dans sa politique de fixation des taux d’intérêt face au risque de fort ralentissement de l’activité (les Echos du 28 janvier 2008). Elle a notamment demandé de considérer « la politique monétaire en regardant la croissance et pas seulement la stabilité des prix » lors de son discours prononcé en Suisse à l’occasion du Forum économique mondial de Davos. Mais c’est précisément ce que fait la BCE et c’est pourquoi Jean-Claude Trichet s’est empressé de rappeler que la lutte contre l’inflation devait rester le seul objectif de la BCE. Car de quelle croissance parle-t-on ? D’une croissance artificiellement relancée afin de doper la conjoncture pour en recueillir le bénéfice électoral au risque d’injecter encore de l’inflation ; ou d’une croissance soutenable reposant sur une progression réelle de la productivité et des capacités productives ? Dans le second cas, ce n’est pas du ressort de la BCE.

 

Le prix Nobel Edmund Phelps a souvent rappelé que la lutte contre l’inflation était une des conditions essentielles du retour d’une croissance saine, forte et durable. Dans ce cas, il n’y a pas d’arbitrage possible entre inflation et croissance. Plus précisément, la stabilité des prix d’un côté et la stabilité des finances publiques de l’autre côté sont les deux piliers fondamentaux de la croissance économique. En vertu de ce principe, les rôles de chacun sont clairs : la BCE a pour mission de stabiliser le « niveau général » des prix tandis qu’il appartient aux différents gouvernements de la zone euro de tenir leurs propres finances. Dans ce contexte, il est bien déplacé de donner des leçons à la BCE, surtout quand ces recommandations proviennent de pays qui ne parviennent pas à contrôler les dérapages de leurs propres finances publiques. L’Espagne, l’Allemagne ou encore l’Irlande n’ont pas de problème de croissance et on ne voit pas pourquoi la BCE devrait calquer la politique monétaire de la zone euro par rapport aux difficultés spécifiques - et endogènes il faut le rappeler - de l’économie française. Il fallait penser à cela avant d’entrer dans une zone monétaire intégrée.

Il est certain que, compte-tenu de l’endettement de l’Etat français, le service de la dette occupe aujourd’hui le deuxième poste de dépense du budget de l’Etat (dévorant presque l’intégralité du produit de l’impôt sur le revenu). Dans ce contexte, tout durcissement des taux d’intérêts accroit le coût de notre dette, étant perçu comme une agression envers l’Etat français. Mais le débiteur ne peut pas accuser ses créanciers : nous ne sommes pas endettés à cause de ceux qui nous prêtent mais parce que nous ne savons plus limiter nos propres dépenses [2]. Quand un emprunteur paie un taux d'intérêt, il ne paie pas seulement le capital emprunté, il paie en quelque sorte la confiance (le fait d'être crédible). Or, Bruxelles vient à nouveau de montrer du doigt les finances publiques françaises dont le redressement est quasiment homéopathique. En matière de confiance, il y a mieux...

La crise actuelle est là pour rappeler que toute baisse artificielle des taux d’intérêt accroit le risque de mauvaise allocation des liquidités au lieu de relancer la croissance. On ne relance jamais une économie en poussant des projets d’investissement dont la rentabilité est fragile. Autrement dit, le niveau des taux d’intérêt ne se décrète ni à Francfort, encore moins à Paris.

 

[1] Voir la chronique Idée dans l’édition du journal des Echos du lundi 4 février 2008 intitulée « Le retour de Marx ». Il faut avoir des conceptions économiques bien fragiles pour en arriver à se demander si Marx avait raison à chaque fois que les marchés corrigent des excès qu’on peut difficilement prévenir ou anticiper. Mais il est connu qu’en pleine bourrasque, beaucoup de vestes se retournent.

[2] Remarquons qu’il est à la mode de renverser les responsabilités en vertu du principe commode « c’est la faute aux autres ». Ainsi, je peux fumer deux paquets de cigarettes par jour pendant 30 ans puis, lorsque j’ai un cancer des poumons, je me retourne contre le fabricant de cigarettes en l’accusant de m’avoir vendu les cigarettes. C’est donc lui le vrai coupable…

 Jean-Louis Caccomo

 

http://caccomo.blogspot.com/

Publié dans Economie et social

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C
La théorie est précieuse cependant et il est dangereux de l'ignorer. Par exemple, la théorie de Mundell des zones monétaires optimales indique qu'il est dangereux pour des pays différents de partager une même et unique monnaie s'ils n'ont pas des configurations macroéconomiques similaires. C'est d'ailleurs une raison qui a poussé la Suisse et l'Angleterre a resté en dehors de la monnaie unique alors qu'ils étaient d'accord pour une monnaie commune. Mais il y a eut un débat interdit autour de l'Euro. L'euro a été imposé, notamment par les français. Or aujourd'hui, il nous explose à la figure alors que le taux de change de l'euro/dollar ne gène pas l'Allemagne, ce qui indique que l'Allemagne et la France ne sont pas dans une zone monétaire optimale.Nous payons aujourd'hui le prix d'avoir ignoré hier cet avertissement théorique mais aux implications bien réelles.
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D
Belle lecon d'économie politique, qui personnellement me rajeunit ...et dont je cite l'auteur dans mon dernier article...L'ennui est que cette leçon théorique ne correspond pas à la réalité pratique où les principales "autorités financières" de la planète ne se sont manifestement pas concertées et adoptent des positions opposées : la FED américaine, il est vrai en pleine tourmente, engloutit des liquidités avec la complicité du gouvernement fédéral, tandis que la BCE maintient ou renforce les taux d'intérêt en faisant de la lutte contre l'inflation "sa préoccupation principale"... réduisant ainsi les possibilités d'action des gouvernements, notamment celui de la France...   Il est certainement intéressant de connaître la point de vue de Louis Gallois, "autorité " reconnue, ayant fait ses preuves avant de devenir Président exécutif d'EADS (Figaro-Economie du 27 mars 2008):   "J'indique à (Jean-Claude Trichet) que l'euro, à son niveau actuel, est en train d'asphyxier une bonne partie de l'industrie européenne en laminant ses marges à l'exportation. Si cela continue, l'industrie exportatrice fuira l'Europe. C'est la seule réponse à sa disposition pour survivre"...   (A propos des américains) "Le dollar est pour nous un sujet majeur... Nous allons accroître le contenu en dollars de nos avions, notamment en payant de plus en plus nos fournisseurs en dollars, et en les incitant ainsi à s'installer comme nous plus fortement en zone dollar. C'est le seul moyen de préserver les activités les plus technologiques en Europe"...   Alors, que faire entre la "théorie" et la "pratique" ?...  
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M
Le gouvernement français considère qu'un euro trop fort peut avoir des conséquences négatives sur l'économie française, a déclaré ce matin le porte-parole du gouvernement, Luc Chatel sur France 2. "Vous connaissez la position régulière du président de la République et du gouvernement sur le fait qu'un euro trop fort pouvait avoir des conséquences négatives sur l'économie française", a-t-il dit. "En même temps, c'est la responsabilité de Banque centrale européenne", a-t-il ajouté. Source : France 2Dans la situation actuelle j'ai tendance à penser comme Luc Chatel...
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J
Marc, ça n'est pas sûr, car il semble bien que les risques d'inflation soient réels... Et l'inflation, ça soulage sur le moment, mais ça ne résout rien sur le fond...
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M
D'accord avec JeanLouis Caccomo...et pourtant, aujourd'hui, compte tenu de la crise internationale, de la situation européenne, et de la politique américaine, une baisse provisoire  des taux en Europe ne serait-elle pas utile?   
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