Dépasser la fracture entre public et privé

Publié le par Jean-Jacques Denis

Je reprends ci-dessous un texte que Jean-Jacques Denis, a publié il y a quelques semaines sur le site des progressistes: http://www.les-progressistes.fr


La question de savoir comment peut-on être de gauche et soutenir un gouvernement de droite est régulièrement posée. Avec une certaine curiosité et parfois avec désapprobation.
 
Une des réponses consiste à comprendre et à expliquer le facteur de paralysie que constitue la fracture opposant le secteur public et le secteur privé.
 
Sans remonter à Colbert mais au lendemain de la Deuxième guerre mondiale, le général de Gaulle s'engagea dans la voie des nationalisations qui eurent pour effet de redonner à l’économie française, l’élan nécessaire au redressement du pays. Redressement qui s’est prolongé durant toute la période des 30 glorieuses. Durant cette époque, l’Etat a su jouer à plein son rôle protecteur et agir pour la reconstruction du pays. Le Parti communiste dominant à gauche contribuait alors à l’industrialisation en se constituant des bastions syndicaux. Droite et gauche ne s’opposaient alors que partiellement sur les fondements du système économique tant la mise en place de l’Etat providence et la croissance semblaient aller de pair.
 
Plus tard, se référant au siècle des Lumières, la gauche avec le Parti socialiste, a pris la défense des droits de l’Homme de par le monde, ignorant alors qu’elle faisait le lit de ce qu’elle dénoncera plus tard : la mondialisation et un certain individualisme, avatars ou conséquences inévitables de l’Universel et de la Liberté.
 
Finalement la confrontation entre la droite conservatrice et la gauche porteuse d’espérance a permis à la gauche d’accéder au pouvoir. Depuis, des contradictions sont apparues en son sein, masquées par des surenchères, et elles n’ont jamais été remises en question. L’expression « le parti se gagne à gauche » étant le l’expression d’une incapacité de d’analyser l’économie, la société et le monde. La gauche ira même jusqu’à nier ses propres décisions lorsqu’elle est au pouvoir. Les nationalisations de 1982 n’ont-elles pas précédées les privatisations de la période 1997 à 2002 ? Lorsqu’elle est dans l’opposition, elle s’obstine à concilier l’inconciliable, du centre à l’extrême gauche.
 
Le secteur privé et au-delà la notion de marché et de profit sont devenus des repoussoirs auxquels sont associés dans un même élan le libéralisme de Margaret Thatcher et l’Europe. Ignorant d’ailleurs l’opposition de celle-ci à celle-là. Bref le discours de la gauche repose plus sur l’amalgame que sur l’objectivité nécessaire à toute analyse, même politique.
 
La France est donc devenu un de ces rares pays où l’opposition entre les deux secteurs, public et privé, soit aussi forte et paralysante. Cette opposition en est devenue quasiment culturelle et a justifié le refus au référendum Européen en 2005. Ces contradictions se traduisent encore par la résistance obstinée à toutes les réformes qu’elle avait pourtant souhaitées (universités, régimes spéciaux…) quand elles n’encouragent pas les extrêmes qui pourtant la manipule. Au courage de l’innovation, elle préfère suivre ce qu’elle imagine être l’opinion.
 
C’est aussi la notion même du risque qui est refusée et qui favorise la perte de confiance dans l’avenir et la méfiance à l’égard des mécanismes protecteurs. La mondialisation, nouvel épouvantail, justifie le conservatisme de la gauche. Elle préfère combattre le capitalisme alors qu’il est nécessaire de le contrôler. Elle est incapable aujourd’hui de concevoir clairement qu’entre le tout public et le tout privé, il existe une voie, un équilibre entre l’action publique et le marché.
 
Cette voie est représentée par l'association des deux secteurs et cet équilibre demande des adaptations et des corrections permanentes.
 
Parfois, et selon les circonstances, plusieurs secteurs de la société pourraient passer du giron privé au secteur public, ou inversement. Il faudrait savoir l’accepter.
 
Pourtant ces deux secteurs existent, et on l’oublie souvent, de manière parallèle plus ou moins concurrentiels et dans des secteurs-clés de la société: l’éducation, l’eau, la santé et à certains égards la protection sociale avec les mutuelles et les assurances…
 
Ils peuvent aussi être associés. Les sociétés d’économie mixte, les délégations de services publics, les groupements de coopération sanitaire et maintenant les partenariats public privé (PPP) en sont des exemples. Ce sont autant de possibilités d’améliorer le service rendu à la population que les élus locaux de tout bord savent utiliser. Les grands projets ne reposent plus uniquement sur l’Etat et les finances publiques, mais sur la capacité des pays et de l’Europe à mobiliser les entreprises privées.
 
La notion de service public, le statut des fonctionnaires et la notion même de responsabilité objectivée par deux juridictions différentes, la protection supposée ou réelle de l’Etat, expliquent le fossé qui sépare le public du privé. Le courage et la responsabilité politiques devraient au contraire inciter à le réduire. Il est urgent de favoriser des ponts entre la fonction publique et le privé.
 
L’acceptation des compétences du secteur privé comme celle de l’entrée des citoyens dans les décisions publiques sont des réalités. La recherche de l’efficacité avec son corollaire qui est l’évaluation devrait permettre à notre pays d’entrer de plain-pied dans le réel. Bien sûr, de nouveaux débats apparaîtront et c’est d’autant plus nécessaire que la démocratie à besoin d’une alternance possible, d’une majorité au pouvoir et d’une opposition capable d’assumer ses contraintes.
 
Le dépassement de cette fracture entre public et privé permettrait la résolution des vrais défis du siècle, devrait permettre d’avancer, en commençant par les identifier. Les besoins sont considérables : dans la recherche et l’éducation, la démographie et le vieillissement de la population, l’environnement et les besoins en énergie, les besoins en transport et en logement, l’ouverture au monde et la sécurité, sont autant de défis qui ne peuvent plus reposer uniquement sur le seul secteur public. La coopération entre les deux secteurs devrait permettre de répondre à ces besoins nouveaux et contribuer aux besoins de croissance et d’emplois.
 
Les divisions entretenues politiquement entre les secteurs publics et privés doivent être dépassés. Chacun a ses qualités et ses travers que nous n’ignorons pas, mais de l’association des deux viendra un service au public renouvelé et efficace. L’un apportant ses exigences républicaines, l’autre ses capacités de financement et de gestion.
 
La redéfinition des rôles du secteur public — au-delà du rôle régalien de l’Etat qu’il ne s’agit pas ici de contester — doit être acceptée en évitant la confusion entre pouvoir public et secteur public, entre fonction publique et entreprises publiques. C’est un passage obligé que la gauche, contrairement à la droite, n’a pas encore su ou voulu explorer.
 
En conclusion, les caricatures et les excommunications de ceux qui n’acceptent plus l’immobilisme ne font pas une alternative crédible et une réponse à la question posée. Le progrès ne se trouve pas dans la défense d’un seul secteur et moins encore dans le rejet de l’autre. Il se trouve dans une politique qui saura rompre avec tous les conservatismes idéologiques pour privilégier l’efficacité et la culture du résultat. Le progrès viendra des nouvelles formes de régulation du marché. Et ce n’est pas incompatible avec l’intérêt public.

Jean-Jacques Denis

Publié dans Economie et social

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M
Ce texte est essentiel. Il met l'accent sur un des éléments fondamentaux d'une gestion que je qualifierai de sociale libérale ou de progressiste. La collaboration public privé est un exemple de ce qu'est "la voie progressiste". Merci Jean-Jacques.
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