Défiscaliser les heures supplémentaires, c'est efficace et c'est juste

Publié le par Serge-Christophe Kolm, pour Le Figaro

Par Serge-Christophe Kolm, Directeur d'études à l'Institut d'économie publique, à l'École des hautes études en sciences sociales. Dans Le Figaro. 15 juin

 
La défiscalisation des heures de travail supplémentaires, mesure phare de l'élection présidentielle, sera bientôt appliquée. Alors que les modalités de cette réforme sont en train d'être précisées, les critiques à son égard se multiplient, mettant en avant l'incertitude des effets et les fraudes possibles. Ces objections, cependant, se trompent de cible.
 
L'économie d'un pays, en effet, c'est l'interdépendance de centaines de milliards d'actes individuels qu'aucun observateur ne peut connaître. Les effets finals d'une mesure générale sur des variables comme l'emploi ou la consommation ne peuvent être prédits qu'avec une grande incertitude. D'ailleurs lesquelles de ces variables serait-il nécessaire de connaître ? Heureusement, dans une société libre, démocratique et respectueuse des choix des personnes, nul besoin d'informations pareilles pour choisir les mesures de politique économique.
 
Dans une telle société, en effet, le critère de jugement économique se divise en deux parties. D'abord, l'efficacité économique et sociale : on refuse un état de la société s'il est possible d'en créer un autre que tout le monde préfère (les économistes appellent cela le « critère de Pareto »). Ensuite, la justice économique et sociale : la distribution des biens doit être « juste » au sens moral du terme.
 
L'analyse économique de base montre que l'efficacité est compromise quand un impôt est assis sur une quantité que les gens peuvent choisir, comme la durée totale du travail. Pour être efficace, l'impôt ne doit porter que sur le revenu gagné pendant une durée donnée a priori, pas sur le reste. C'est exactement ce que propose l'exonération des heures supplémentaires. Ne pas le faire, pour ce bien économique général qu'est le travail, induirait un gaspillage social majeur.
 
La défiscalisation des heures supplémentaires revient à changer l'assiette de l'impôt : avant c'était le salaire horaire de chacun multiplié par son temps de travail réel. Désormais, ce sera le salaire horaire multiplié pour tout le monde par 35 heures. Cela revient à asseoir l'impôt sur le salaire horaire (le taux de salaire). Le nouvel impôt ne dépend plus du temps de travail réel : l'effort que constitue celui-ci n'est plus taxé.
 
L'impôt ne dépend maintenant, pour chaque personne, que de son taux de salaire, c'est-à-dire la valeur économique de ses capacités productives. Ces capacités dépendent des dons naturels et de l'éducation, celle-ci étant fonction des capacités à apprendre et du milieu familial qui apporte incitation, motivation, information et soutien.
 
L'impôt nouvelle manière s'appuie donc essentiellement sur les chances naturelles et sociales de la personne. Son effet distributif est de réduire les conséquences de leur inégalité sur le revenu, y compris pour l'aspect d'héritage de l'éducation. Ce critère distributif est donc plutôt de gauche que de droite (et ce d'autant que les taux de cet impôt sont élevés).
 
On pourrait aller plus loin. À un degré de raffinement supérieur, l'impôt pourrait aussi exonérer le revenu du travail, non seulement au-delà d'une certaine durée, mais aussi au-delà d'une certaine intensité et d'un certain investissement personnel dans la formation et le perfectionnement (exonération de primes de rendement et de formation quand elles existent).
 
L'aspect distributif est évidemment complété en fournissant une aide au revenu aux personnes qui ne peuvent gagner que trop peu (ou pas du tout). D'autre part, imposer à tous les cas d'heures supplémentaires les mêmes conditions de décision (qui décide de les proposer ?) et de rémunération (par rapport au reste du salaire) constituerait une rigidité qui entraînerait aussi un gaspillage social important. Ces conditions doivent être évaluées au coup par coup.
 
La défiscalisation des heures supplémentaires, entend-on, serait impossible ou trop coûteuse car employeurs et employés s'entendront pour payer ces heures supplémentaires au tarif des heures normales. C'est oublier la réalité fiscale.
 
Tout impôt est assis sur une déclaration et fait l'objet de contrôles occasionnels aléatoires assortis de pénalités. On peut diminuer le nombre et donc le coût des contrôles sans nuire à l'efficacité à condition d'augmenter les pénalités en cas d'infraction découverte. Il y aura, certes, des tentations de fraude. Mais il sera difficile d'aller jusqu'à la situation actuelle où, dans tous les pays, 30 % du revenu imposable échappe au fisc. Ce risque ne sera sérieux que dans les très petites entreprises.
 
Enfin, autre rumeur malveillante, la nouvelle assiette fiscale serait anticonstitutionnelle ! Elle est au contraire requise par la Constitution si on la lit bien. Celle-ci s'ouvre en effet par la Déclaration de 1789 qui demande que l'impôt soit payé « en raison des facultés » des citoyens.
 
Pour un revenu gagné, cette faculté est la faculté de gagner, c'est-à-dire le taux de salaire. Exactement ce à quoi revient cette défiscalisation du travail supplémentaire.
 
Il est agréable que, pour une fois, en politique économique, l'exemple vienne de France.

Serge-Christophe Kolm 
Le Figaro du 15 juin

Publié dans Economie et social

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M
François Hollande se dit convaincu qu'il y aura un plan de rigueur en France en dépit des dénégations de Nicolas Sarkozy, mais après les élections municipales de mars prochain.  "Il n'y a pas de plan d"austérité dans le projet de budget, il y a plutôt même un plan de laxisme. Mais ce qui est clair, c'est qu'il y aura un plan de rigueur", a déclaré le premier secrétaire du Parti socialiste sur France Inter. (Reuters)Typique de la méthode de Hollande et de ses amis.....Constatant que le budget 2008 n'est pas un budget de rigueur, comme il l'annonçait, il déclare..."ce sera pour après..."....Rien ne lui permet de dire cela, mais ça permet de prétendre qu'il avait  raison et d'inquiéter les Français avant des municipales que le PS n'est plus tout à fait sûr de gagner......
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M
Le décret d'application sur le nouveau régime fiscal et social des heures supplémentaires, qui doit entrer en vigueur le 1er octobre, a été publié au Journal officiel.  La loi relative au travail, à l'emploi et au pouvoir d'achat (TEPA) du 21 août 2007, premier train de mesures économiques et fiscales de la présidence Sarkozy, prévoit la déduction du paiement des heures supplémentaires du revenu imposable et la réduction des cotisations sociales salariales et patronales. Les heures supplémentaires seront en outre payées dans toutes les entreprises 25% de plus que les heures normales, jusqu'à 43 heures hebdomadaire et 50% au-delà.La loi TEPA a en effet supprimé le régime dérogatoire accordé aux entreprises de moins de 20 salariés pour la majoration des heures supplémentaires qui était fixée à 10% pour les quatre premières heures.Voilà qui devrait aller dans le bon sens pour augmenter le pouvoir d'achat et la production.....
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M
Mercredi, Ségolène Royal a déclaré que le Smic à 1.500 euros brut et la généralisation des 35h, deux idées défendues par le projet socialiste qu'elle avait "dû reprendre" dans son pacte présidentiel, n'étaient pas crédibles...Avouant là avoir défendu des idées auxquelles elle ne croyait pas.....et qu'elle jugeait nuisibles...Les pauvres militants qui l'ont soutenue, et qui ont cru ce qu'elle disait,  apprécient sans doute.....Encore que, on puisse s'interroger....
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F
Je comprends l'argument de la plus grande justice fiscale pour l'employé, et ce d'autant plus qu'il n'est nullement responsable de son temps de travail. C'est l'employeur et lui seul qui est à l'initiative des heures supplémentaires effectuées, le refus de les travailler dans le cadre du forfait annuel étant d'ailleurs une clause de licenciement.C'est là une grande réserve par rapport au "volontariat" mis en avant par Nicolas Sarkozy, mais c'est cohérent avec ce billet.Ce raisonnement séduisant ne peut toutefois concerner les charges des entreprises, qui seront elles aussi défiscalisées. Au nom de quelle "justice" devraient-elles - pour un même nombre d'heures travaillées - être défavorisées si ce temps travaillé est assumé par un plus grand nombre d'employés ? Cela me semble à l'inverse aller à l'encontre de l'idée de responsabilité sociale qui doit les conduire à cotiser d'autant plus que leurs choix ont un impact négatif sur les comptes sociaux. Enfin, je n'ai en ce qui me concerne JAMAIS été payé pour la moindre heure supplémentaire, qui me semble le privilège des grands groupes... Je ne vois pas en quoi les fraudes seraient davantage dissuadées demain par les toujours très hypothétiques risques de contrôle de l'inspection du travail.
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P
3 questions :-heures supplémentaires pour les cadres ?-heures supplémentaires pour les professions libérales ?-aspect distributif complété par une aide au revenu à ceux qui gagnent trop peu : fait il allusion au RMA ?1 objection :Ce n'est pas parce qu'il est difficile de mesurer l'effet des politiques économiques qu'il ne faut pas chercher à le faire. Comment parler de critère de Pareto, si les individus n'ont aucun moyen objectif de mesurer les conséquences des politiques et se remettent donc à ce qu'en disent les partis dont l'objectivité est quasi nulle ?
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