Constat de Paralysie Evident
Hier, avec Laurent PY, nous faisions une place à la poésie, aujourd'hui avec Gilbert Veyret, c'est à l'humour...grinçant que nous donnons ses droits...
«…. Plusieurs estiment qu’un sage Prince, quand il en aura l’occasion, doit subtilement nourrir quelques inimitiés afin que, les ayant vaincues, il en tire plus grande louange. Les Princes, ceux qui sont nouveaux, ont trouvé plus de foi et d’assurance profitable, en ceux qui au commencement de leur venue aux Etats, ont été tenus pour suspects qu’en ceux desquels ils se confiaient le plus.
Machiavel « Le Prince » Chap XX
Pourquoi tant de hargne à l’encontre du CPE ? Elle ne peut résulter que d’une lecture superficielle d’une loi rédigée apparemment en dépit du bon sens, mais qui ne peut être valablement analysée qu’à un deuxième niveau. Ce serait faire injure à l’intelligence de Dominique de Villepin et au prestige de l’école qui forme nos élites que de supposer, ne serait-ce qu’un instant, que cette machine infernale aurait été conçue pour améliorer la situation de l’emploi des jeunes.
En réalité, selon notre hypothèse, Dominique de Villepin travaillerait en sous main pour la gauche et le mouvement syndical. Il serait heureux de les laisser trancher ce nœud gordien auquel son gouvernement ajoute une boucle à peu près chaque semaine.
Pourquoi aurait-il choisi de se débarrasser ainsi de ce qu’en termes choisis on appellerait les responsabilités du pouvoir ou de façon plus vulgaire « la patate chaude » ?
Le précédent de la dissolution de 1997, inspiré par le même D. de Villepin, montrerait une tendance récurrente à se défausser des responsabilités politiques, sitôt que lui-même et ses amis ont réussi à accumuler un maximum de problèmes auxquels ils n’ont pas de solutions. On peut aussi prendre en considération la persistance de sondages montrant que Nicolas Sarkozy serait le meilleur candidat de la droite à l’élection présidentielle.
Ouvrir un tel boulevard à la gauche serait la meilleure manière d’éviter la pire des solutions, à leurs yeux, une présidence Sarkozy en 2007. J. Chirac a d’ailleurs une certaine expérience en la matière pour avoir déjà joué le coup, de façon certes moins évidente en 1981, à l’encontre de V. Giscard d’Estaing.
Les motivations de tels « complots » sont toujours contingentes et les véritables bénéficiaires toujours aléatoires. Ainsi il est fort possible que J.M Le Pen soit, à nouveau, le seul gagnant à ce jeu auquel il n’aura même pas eu besoin de prendre part.
En raison même de ces incertitudes, on enseignera longtemps à Sciences Po, la virtuosité d’une telle manipulation politique, comme on enseignait dans les Ecoles de Guerre le génie de ces batailles napoléoniennes qui avaient réussi à réduire aussi efficacement les frontières et la prospérité de
Admirons l’enchaînement des faits. L’affaire était préméditée depuis longtemps puisqu’il a fallu faire adopter, dés 2004, l’article de la loi Fillon imposant une concertation préalable avec les partenaires sociaux avant toute modification du droit du travail, pour mieux s’en affranchir en faisant adopter le CPE à coups de 49/3.
Cette provocation était bien la seule façon de se prémunir contre toute contre proposition réaliste de syndicats réformistes, notamment
La loi bâclée du CPE restera un modèle du genre puisqu’elle réussit à susciter de telles réactions, parmi la masse des textes insipides de la production législative moyenne et à faire descendre dans la rue des centaines de milliers de jeunes et d’adultes que cette loi était censée opposer.
Le Premier Ministre s’était bien gardé d’y associer les ministres concernés et les services compétents du ministère des affaires sociales. Il savait bien qu’il n’avait aucune chance de les convaincre de son utilité sans avouer ses finalités réelles.
Il avait déjà fait quelques tentatives assez timides pour agiter un chiffon rouge, comme l’apprentissage dés 14 ans ou le contrat nouvel emploi. Mais la gauche, se sentant loin d’être prête à l’alternance, s’était bien gardée de mordre à cet hameçon. Il a fallu taper très fort, au risque de susciter des réserves dans son propre camp, pour la contraindre à sortir du bois.
. Il fallait choisir une durée arbitrairement très longue de deux ans de période d’essai et des facilités de licenciements sans aucun motif, que personne ne demandait ou ne pratiquait en Europe, pour être bien sûrs que cette fois-ci, ils allaient enfin bouger.
Les forces de gauche ont évidemment vu le piège qui leur était tendu, mais n’ont pas pu l’éluder sous peine de se déjuger vis-à-vis de leur électorat. Il faut d’ailleurs admirer les qualités de comédiens de leurs dirigeants les plus conservateurs qui ont poussé des cris d’orfraie contre ces atteintes aux droits des jeunes, alors qu’ils avaient bien compris que grâce à cette brillante manœuvre, ils étaient débarrassés de toute idée de réformes, du moins jusqu’à la faillite complète de nos régimes sociaux et l’explosion sociale qui en résultera.
L’opération aurait toutefois pu échouer, lorsque l’ensemble des organisations syndicales ont accepté d’aller négocier à Matignon. Un compromis, même bancal ou provisoire, eût tout fichu en l’air.
Mais une bonne coordination avec l’Elysée a permis à Jacques Chirac de faire savoir, depuis Bruxelles, quelques heures avant la rencontre avec les syndicats, qu’il n’y avait rien d’essentiel à négocier.
Le nœud coulant était cette fois-ci bien serré, les syndicats et la gauche étaient condamnés à gagner la partie de bras de fer dans laquelle ils s’étaient laissé enfermer.
Comme prévu le Premier ministre après avoir juré qu’il ne retirerait jamais sa loi, l’a fait, tout en prétendant le contraire ce qui lui permet d’être accusé tout à la fois de brutalité, de faiblesse et de duplicité. Remarquable.
On ne voit plus désormais quelle énorme bévue pourrait dispenser la gauche de gagner en 2007 et de devoir régner sur ce champ de ruines.
Elle devrait se rassurer en se disant que cette fois-ci encore, ce ne sera pas pour une trop longue période. Il lui suffira de monter de quelques crans le niveau de démagogie de ses promesses électorales pour être, à son tour, prise en flagrant délit de mensonges et revenir rapidement au statut infiniment plus confortable d’opposant.
Nous laisserons la conclusion à l’auteur le plus susceptible d’éclairer, quelque peu, ce débat pour le moins ambigu.
« Il est arrivé maintes fois qu’après une bataille, le vainqueur se croyait vaincu et le vaincu vainqueur ; erreur qui entraînait des décisions fatales à ceux qui les commettaient ».
Machiavel « Sur la première décade de Tite Live »
Gilbert Veyret