Discriminations

Publié le par Lucie Lepage

Aujourd’hui est la une journée internationale de lutte  contre toutes les discriminations.

 

C’est aussi le jour où nous prenons connaissance du dernier rapport de la commission consultative des droits de l’homme, indiquant son inquiétude face à ‘’l’augmentation des personnes se disant racistes’’ (AFP 21 mars 2006). Suite à la mort d’Ilan Halimi et la radicalité avec laquelle le peuple français et ses représentants ont réagi auprès de présumés coupables (malgré la leçon d’Outreau), suite à la radicalité qui oppose le gouvernement et les anti-CPE, il semble que les cycles de l’histoire française se resserrent. De plus, nous ne pouvons ignorer que le racisme ambiant est, dans une société, un état d’esprit qui englobe bien plus d’aspects que la simple haine de l’étranger.

 

Pourquoi tant de bruit autour de la mort d’Ilan Halimi ? Pourquoi si peu de bruit autour de la mort des autres, les musulmans, morts tout aussi gratuitement ?Que pourrait-on en conclure ? Géographiquement, les zones affectées sont les mêmes : soit victimes, soit agresseurs tous ont un lien, plus ou moins direct, avec nos no man’s land français..

 

 La différence de traitement et de réception de ces morts violentes de la part du public n’est donc pas liée à une crainte particulière de voir la France se getthoïser, ni même liée à une prise de conscience de la violence que cette même ghettoïsation entraîne. Les Français ont été particulièrement touchés par la mort d’Ilan Halimi… Tous les Français, l’ensemble du gouvernement français… Cela rappelle un temps encore proche de nous, où Hitler ayant fait fureur, les Français se donnaient bonne conscience, en redoublant d’attention et de tendresse verbale envers les ‘’israélites’’ de France. Or, à tant vouloir se protéger de toute accusation antisémite, on montre une certaine obsession de la chose, on se trahit par ce que l’on en pense dès qu’il s’agit d’un juif… alors qu’il s’agit, avant tout, d’un citoyen français. L’antisémitisme est encore présent dans les esprits. Il est désagréable, mais rendu doux et supportable par ces gestes de sympathie. Sur une échelle fictive peu reluisante, la France est donc bien plus raciste vis-à-vis des  arabes que des  juifs, puisqu’elle va jusqu'à ignorer la mort insupportable de ces derniers. Les bourreaux sont les mêmes…à l’exception du dernier assassinat en date, celui de Chaïb Zehaf, où le bourreau est un collectionneur de croix gammées, apparemment fort alcoolisé et armé. Un bon Français ?

 

Le procureur chargé de l’affaire a insisté pour que ce crime ne soit pas qualifié de raciste avant que des preuves ne soient fournies de ce mobile. La différence de traitement avec l’affaire Halimi est flagrante et choquante. Surtout quand on connaît la teneur des témoignages autour du meurtre de Chaïb Zehaf et le traitement qui fut réservé à son frère…Si la mort d’Ilan Halimi n’était pas sortie du registre du fait d’hiver sordide, si la mort de Chaïb Zehaf avait eu plus d’échos dans la presse et dans le public, cet état de fait du racisme en France ne serait pas, aujourd’hui, aussi visible.

 

 Le ‘’problème des banlieues’’ -où vivent les présumés bourreaux- ne peut se résumer à une problématique d’expansion urbaine mal maîtrisée: c’est aussi la marque d’un racisme français actif. Les courbettes faites aux juifs comme la présence du Président de la République dans une synagogue montrent un peu rassurant et pervers dévolu pour les juifs ; il met aussi en exergue le sort que l’on réserve, mentalement, aux musulmans… pourtant personne, ni à droite ni à gauche, ne réagit à cette différence de traitement.

 

 Le sort des juifs et des musulmans de France (peut-on, d’ailleurs, affirmer avec certitude que ces « communautés » existent réellement ?) s’équivalent, parce qu’ils révèlent un même malaise.

 

C’est un constat objectif : la France ne prend pas l’Autre comme une partie d’elle-même. Il y a là une motivation de plus pour se battre durant la campagne des élections de 2007 : certes, notre pays à besoin d’une restructuration profonde. Mais même les meilleurs de ceux qui défendront un projet de réforme, dit incontournable, avec toutes les références d’efficacité du monde entier, prouvant que l’on peut s’extraire de la chute, ne pourront trouver de résonance si un autre mal, aux apparences moins déterminantes pour la société mais trop longtemps contourné ou utilisé, n’est pas mis à nu : l’inconscient collectif français qui se refuse à l’échange, au dialogue et qui tend à se rassurer par la haine et le rejet. En ces temps d’insécurité sociale, cet esprit -d’extrême droite ou d’extrême gauche- s’étend à tous nos outils de représentation politique, à tous les discours volontaristes. La culture de l’intransigeance n’a, en France, pas de parti ; elle est bien plus diluée qu’on pourrait ou voudrait le croire. Les médias ne sont plus les seuls à se laisser maladroitement balader dans ce gouffre raciste ou antisémite (les deux sont synonymes) ; les politiciens, les juifs, les musulmans, les chrétiens, les femmes, les hommes, les étudiants, les Parisiens, les banlieusards, les provinciaux, les alter-mondialistes, les besancenoïstes, les arlettistes, les boveïstes, tous les Français, sont dans cette logique ; certains voteront Sarkozy, d’autres Le Pen…  2007 approche à grands pas : il en va de la responsabilité de chacun de se soucier d’une nouvelle marche à suivre ; philosophique et morale.

 

Nous, français, avons besoin d’une rééducation intense : réapprendre à assumer nos erreurs, et se servir directement de ces dernières pour modifier nos trajectoires, par le biais d’un dialogue dédiabolisé.

 

Là encore, le gouvernement et tous ceux qui se proclament politiciens, devraient montrer l’exemple : la flexibilité économique, tant citée, ne pourra se réaliser sans une flexibilité mentale accrue. Que ce soient aujourd’hui, les étudiants et le gouvernement autour du CPE (très symbolique et symptomatique de la pratique politique française), que se soient les syndicats (MEDEF compris) et toutes les autres corporations de France, tous doivent réapprendre à gérer l’échange avec l’autre, sans avoir l’impression d’une faiblesse ou d’une mort inexorable.

 

Le blocage économique de la France n’est qu’une cause d’un blocage intellectuel qui se révèle de plus en plus handicapant. Le danger d’un second tour 2007 encore plus fou qu’en 2002 est largement plausible : c’est aujourd’hui qu’il faut faire de la politique ’’autrement’’. C’est ici la première réforme à entreprendre. Le danger est réel.

 

 Sans ce retour à la démocratie, nous n’échapperons pas à la punition suprême dictée par l’Histoire et dont la sévérité est avérée. En cette journée internationale contre le racisme et à l’heure où la discrimination (positive, bien sûr), veut s’officialiser en France, un  paradoxe français apparaît au grand jour : chaque corporation française qui lutte contre sa propre discrimination, développe son argumentaire par la discrimination des autres corporations. Tous les Français paraissent subir la discrimination : les jeunes parce qu’ils sont jeunes, les femmes parce qu’elles sont femmes… La discrimination est l’argument par excellence. Mais tout en la condamnant, les Français s’en servent, la  préservent et en sont les acteurs directs. Comment, avec le mode opératoire politique et social actuel –en quête de résultats rapides et de solutions faciles - qui tend à autant de particularisme, pouvons nous échapper à cette montée du racisme global qui, lui, est de plus en plus assumé ?

 

Lucie Lepage

 

Publié dans Société

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P
Vous avez su mettre des mots justes à propos d'un  malaise qu'il est essentiel de révéler et de traiter. Vous parlez du très intime en politique, de cette face de notre corps collectif  qui s'exhibe  paradoxalement chaque jour mais que la plupart d'entre nous  refusent de voir ou d'admettre.  Vous parlez de ces attitudes mesquines et frileuses, de ces mots et de ces jugements que l'on balance pour exister, se défendre ou fanfaronner et qui, en définitive,  reproduisent et aggravent les incompréhensions. Vous parlez de notre petite  République qui deviens médiocre quand nous ne la  portons plus. Vous  parlez d'une complexité que nous n'assumons pas, dont nous ne faisons rien.  Mais  vous ouvrez la piste de la maturité et de l'épanouissement. C'est très positif, ça me parle.  Merci d'avoir empli ce blog prometteur d'un si joli parfum, d'une si  jolie lucidité finalement très gaie.
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