Débat caricatures 2

Publié le par Divers IES

La fatwa contre Salman Rushdie, c'était il y a 17 ans. A l'époque, l'ensemble de l'intelligentsia européenne (sinon Mrs.Thatcher) avait réagi avec fermeté pour défendre un écrivain né musulman et qui avait commis, aux yeux des islamistes, le double crime d'apostat et de blasphème. Nous l'avons défendu pour signifier aux islamistes qu'il était hors de question de les laisser appliquer leur loi (religieuse) à l'encontre de personnes qu'ils reconnaissent comme relevant de leur juridiction (parce que nées musulmanes) hors des terres sur lesquelles s'exerce leur cruel contrôle. Nous l'avons défendu pour signifier aux personnes qui fuient, en Europe, la persécution religieuse qui sévit chez eux, que nous ne les abandonnerions pas aux couteaux des égorgeurs. Nous l'avons fait parce que nous étions fiers des valeurs de tolérance, de liberté intellectuelle et de respect des droits de l'homme, qui nous ont valu la nature démocratique de nos régimes - ainsi que la prospérité matérielle qui en est la conséquence. Car il n'y a pas de place pour le développement matériel là où des dogmes venus du fond des âges interdisent le progrès de la connaissance.

 

 

 

Cette fois, et après quelques précédents inquiétants (dont le meurtre de Théo Van Gogh), on s'en prend à des non musulmans, créant et travaillant en Europe, et on prétend appliquer à l'encontre des Européens dans leur ensemble le principe de la responsabilité collective. Or, à quelques exceptions près, nos intellectuels se taisent, terrifiés ou complaisants. C'est préoccupant. L'histoire, celle de l'Europe des années 30 notamment, nous enseigne qu'on ne doit jamais se dérober face à une escalade dans l'agression. L'apaisement ne vaut pas mieux face aux islamiques que face aux hitlériens. Parce que "la faiblesse est une invitation faite aux barbares" (Alexandre Wat). Si nous sommes incapables aujourd'hui de nous dresser pour proclamer les valeurs fondatrices de notre Europe : esprit de libre examen, droit à la critique religieuse, séparation du politique et du sacré, respect du pluralisme des opinions et des croyances - ne nous étonnons pas, demain, de devoir incorporer à notre droit des éléments de plus en plus indigestes de la charia...

 

Ne nous laissons pas intimider. Nous n'avons aucune leçon à recevoir, en matière de presse, de la part de pays qui pratiquent la censure et persécutent les croyants des religions non musulmanes. La liberté religieuse est totale en Europe, y compris pour les musulmans, et c'est une excellente chose car l'islam, notamment dans sa version la plus critique (Averroes), fait partie de notre héritage culturel. Mais l'irréligiosité et l'athéisme doivent pouvoir continuer à bénéficier de la même tolérance que les religions. C'est à nos Lumières que nous devons nos démocraties.

 

 Ce qui est terrifiant, c'est le manque de solidarité des autres Etats européens (à part l'Allemagne, avec Angela Merkel) alors que l’on brûle  des ambassades européeennes. La France aurait-elle peur ? On attend un mot de soutien de la part du président de la République. Les peuples civilisés respectent les représentations diplomatiques - même celle des nations ennemies. Les détruire constitue un acte de guerre. Nous devons nous montrer solidaires d'une petite nation européenne, démocratique et tolérante, le Danemark. Nous devons relever la lâcheté qui consiste à s'attaquer à cette petite nation - et non aux Etats bien armés et capables de représailles, comme les Etats-Unis ou la Russie.. .  Nous devons manifester avec ce pays notre solidarité européenne. Demain, qui sait combien nous pourrions avoir besoin à notre tour de cette solidarité.

 

 

 

Brice Couturier

 

 

 

 

La   question des caricatures de Mahomet met en évidence des divergences profondes, de principes et de ressentis,   entre les opinions publiques occidentales et orientales. Liberté de la presse d’un côté, que le droit Français considère comme principe fondamental, c'est-à-dire une des libertés essentielles et spécialement protégées par la Constitution , interdiction de représenter le Prophète de l’autre.  Principes difficilement conciliables, mais qui pourraient l’être dès lors que l’on considère que le fait religieux, faisant partie de la sphère privée, est subordonné à la liberté de la presse, liberté qui elle est publique et dès lors que l’intervention d’un juge indépendant assure l’équilibre de ces deux libertés, in concreto, à l’occasion de chaque litige. Du moins, telle est la conception occidentale. Mais sur le plan international, ce délicat équilibre ne peut être atteint, en raison de l’absence de concepts communs, en l’absence de mécanisme de règlements des différends ou de forum où pourraient dialoguer manifestants musulmans et journalistes occidentaux. Attisé par l’Iran qui cherche à rénover son rôle de leader du proche et moyen orient, exacerbé par la présence américaine, impérialiste ou perçue comme telle, le différend semble insoluble. Les ambassades brûlent, les fatwas tombent, Charlie Hebdo revendique sa liberté et publie les caricatures. Se dirige t-on vers le choc des civilisations prophétisé par Samuel Huntington ? En tous cas, la crise n’était pas inéluctable. Ces caricatures n’auraient pas provoqué un tel émoi si elles n’avaient pas été instrumentalisées par des imams danois, qui avaient fait le déplacement pour aller les montrer dans les pays musulmans, accompagnés d’autres caricatures, factices car non publiées par le JYLLANDS POSTEN, mais dont le message semble être encore plus violent.

 

Peut-être aurions-nous pu  être  plus mesurés que les imams agitateurs et ne pas ajouter de l’eau à leur moulin, mais au contraire tenter d’expliquer, sans provocation, que l’intention du JYLLANDS POSTEN n’était pas d’offenser mais de dérider (celui-ci réaffirme d’ailleurs qu’il n’aurait pas publié les caricatures s’il avait pu prévoir les conséquences). Et peut-être devrions-nous prendre cette crise comme un signe fort de la nécessité d’œuvrer pour le développement économique de cette région du monde afin d’éviter de tels incidents, en se remémorant les mots de Truman lors de son discours exceptionnel au Congrès le 12 avril 1947 : « les germes des régimes totalitaires sont nourris par la misère et le dénuement. Ils croissent et se multiplient sur le sol aride de la pauvreté et du désordre. Ils atteignent leur développement maximal lorsque l’espoir  d’un peuple en une vie meilleure est mort. Cet espoir nous devons le conserver en vie. »

 

 

Guillaume Fabre

 

 

 

Eric Ascensi, répond ci-dessous à une tribune de Tariq Ramadan  (Libération du 09 02)  et un article d’Olivier Roy (Le Monde 08 02), signalés par Charles André.

 

Les questionnements d’Olivier Roy ou de Tariq Ramadan, pour brillants qu’ils soient, nous renvoient à une alternative simple dans laquelle nous devons arrêter clairement une position: peut-on, par souci légitime d’apaisement (T.Ramadan) ou par ouverture culturelle (O.Roy), renoncer à défendre les principes qui sont au cœur de notre action politique ?

 

Je n’adhère pas à la vision d’Olivier Roy qui nous alignerait sur le pragmatisme anglo-saxon, ce qui aboutit toujours à un compromis. Ainsi les anglo-américains peuvent être conséquents en actes et prudents en paroles, sans se renier complètement ! Et puis mener une guerre en tentant de calmer l’opinion publique est une sage posture mais nous n’avons pas, en tant que Français tout à fait  les mêmes impératifs. Pour de nombreux pays, nous demeurons –à tort- des non belligérants. En revanche s’il y a un rôle que l’on ne peut nous dénier, c’est bien celui de repère d’une certaine conscience républicaine. 

 

Nous nous sommes appliqués, depuis le début de  la crise post  11 septembre, à défendre les grands principes du droit au niveau national (voile) ou international (ONU). Il me semble de notre devoir de rester intransigeants sur les valeurs républicaines, et démocratiques,  en particulier celle qui nous mobilise aujourd’hui, la liberté de la presse. Dans les limites du droit précité, celle-ci ne se négocie pas, ni avec Tariq Ramadan, ni avec nos amis anglo-saxons.

 

Selon moi, IES doit donc défendre ces fondements républicains que sont la liberté d’expression, la liberté de la presse, la laïcité, sans céder à aucune forme de pragmatisme. Il en sera peut-être autrement lorsque l’Europe parlera d’une seule voix…mais nous n’en sommes pas là.

 

 

Eric Ascensi

 

Publié dans Société

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C
Mon propos se limitera à deux observations.La première est que la violence n'est pas la bonne réponse, quelle que soit la légitimité de l'atteinte concernée. La seconde observation est mon complet désaccord avec cette sorte de principe posé à priori par IES et les auteurs des articles du caractère absolu de la liberté d'expression de la presse (je ne parle pas de la liberté individuelle bien qu(il existe une législation spécifique qui la limite). La liberté d'expression de la presse est une liberté républicaine comme les autres dont les limites découlent des domaines d'expression des autres libertés; pourservir d'exemple, une excellente loi définit très précisément ce qu'est la laïcité, la loi de 1905, une loi de tolérance universelle et de respect(le mot respect n'est pas un mot neutre!) de la liberté religieuse et des convictions des uns et des autres dans ce domaine qui inclut bien sûr la libre pensée, l'agnosticisme et l'athéisme. La récente loi sur les signes extérieurs religieux a rappelé l'existence de deux sphères de notre espace social, une sphère privée et une sphère publique et les rapports de nos libertés républicaines avec l'une et l'autre sphère. Ces deux lois sont suffisamment explicites pour que chacun d'entre nous comprenne qu'il ne peut y avoir une liberté d'expression absolue de la presse sauf, bien sûr, à faire le choix d'une autre société; sur ce point, l'histoire du 20 ème siècle nous a appris ce qu'étaient des sociétés liberticides et intolérantes, qu'elles soient brunes ou rouges, théocratiques ou non.<br /> Claude Bodin 
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