Dérive de la démocratie

Publié le par Jean-Louis Caccomo


Jean-Louis Caccomo...



Démocratie ! Démocratie ! Jamais un terme n’aura été autant détourné et galvaudé. Pendant les conflits sociaux, dans la fonction publique, à l’université et dans les transports, la question de la démocratie fut à nouveau soulevée, notamment par la base en colère qui ne se distingua pas particulièrement par son niveau de culture politique et économique. Au nom du droit de grève (complètement usurpé par des étudiants qui n’ont en aucun cas le droit de faire grève mais bien plutôt le devoir d’étudier, ne serait-ce que par respect envers la collectivité qui finance la quasi-intégralité du coût de leurs études), la démocratie a été constamment brandie par les bloqueurs.
Pourtant, ils n'ont de cesse d'utiliser le droit de grève pour précisément remettre en cause le verdict des urnes démocratiques, ce qui n’a jamais été la finalité du droit de grève.

Il paraît tout de même effarant de voir comment, au pays des droits de l’homme, on se complait à mettre la démocratie à toutes les sauces, oubliant le sens exact et somme toute limité – comme tout ce qui a un sens exact - du terme. La démocratie est un mode de désignation des élites qui doivent nous gouverner, non leur suppression. Par ailleurs, la vie démocratique se doit d’être cantonnée à ce moment, et à cet espace, qui consiste à désigner nos élus à intervalles de temps réguliers. Une fois élu, il convient de les laisser travailler, et d’aller nous-mêmes travailler. La démocratie doit s'arrêter là, et ce sont de telles règles fondamentales qu’il convient de fixer dans le marbre d’une Constitution. Car la démocratie explose toujours à la figure de ceux qui ne savent pas s’en servir. Souvenons-nous que Hitler a accédé démocratiquement au pouvoir ce qui devrait nous alerter définitivement sur les dangers du « tout démocratique ».

 

Aucun groupe humain ne peut fonctionner en dehors de cadres structurés qui permettent aux organisations multiples de s’épanouir, que ce soit des entreprises, des fondations, des familles ou des collectivités territoriales. Les théoriciens des organisations comme SIMON ou MINTZBERG, dans la foulée des travaux fondateurs de TAYLOR, ont bien montré que la hiérarchie permet de définir précisément les responsabilités sans lesquelles aucune prise de décision ne pourrait avoir lieu [1].

Dans toute organisation, ce n’est pas la base qui commande à la tête sinon c’est la ruine de l’organisation. De plus, les lois de l’économie ont si peu à voir avec les lois de la démocratie qu’elles ne peuvent se décréter dans aucun parlement. Le président de la république ne peut être le président du pouvoir d’achat des français, mais le président des français. Le développement économique suppose le respect des droits individuels, ce qui est une toute autre affaire. Or dans leur quête démagogique de toujours plus d’électeurs, les responsables politiques ont la tentation de se servir de l’Etat pour distribuer du revenu à telle catégorie de ménages, des avantages divers à telle catégorie de producteurs, des subventions à telle association, détournant l’Etat de son rôle premier si bien que la démocratie est porteuse d’une dérive mortelle qui conduit à l’extension sans fin de l’Etat-providence, laquelle se fait toujours au détriment de nos droits individuels et de notre liberté.

Par ailleurs, personne n’aime et ne plébiscite les lois du marché : ni les producteurs toujours prompts à s’abriter derrière des barrières ou à conquérir une situation de monopole, ni les consommateurs embarrassés par le problème du choix. Pourtant, le marché existe. Personne ne veut payer des impôts, mais tout le monde est pour la gratuité de services publics accessibles à tous à la meilleure qualité possible. Tout le monde veut toujours plus de pouvoir d’achat, mais qui est prêt à travailler toujours plus ? Aucune de ces questions ne trouvera une réponse opérationnelle dans un vote. La réalité économique est une donnée qui s’impose à nous, qu’on le veuille ou non.

 

A l’école, les élèves doivent l'obéissance au maître, même s'ils sont plus nombreux car le nombre ne change rien à la qualité du rapport pédagogique qui doit s’instaurer entre un maître et ses élèves. Le rapport pédagogique reste un rapport hiérarchique. Quand Luc Ferry a rappelé ces évidences dans son livre, il a déclenché une polémique parmi les enseignants toujours prompts à s’enflammer à l’évocation de valeurs qu’ils ont tant fustigés dans leur propre jeunesse [2]. Pourtant, il faut de la discipline pour apprendre. L'élève (enfant) est d'ailleurs un disciple (objet de la discipline) s'il veut s'élever plus tard au rang de maître (adulte). Pour l’avoir oublié ou refoulé, certains enseignants sont aujourd’hui l’objet d’agressions récurrentes, vivant désormais dans la peur de leurs propres élèves.

De la même manière, dans une famille, les enfants doivent l'obéissance à leurs parents. Les enfants peuvent devenir de véritables petits dictateurs si on les met dans la situation des enfants-roi, ce qui contribue à faire exploser bien des familles. Dans l'entreprise, les employés doivent obéir aux patrons. Cette division du travail obéit à un principe de survie : aucune organisation humaine ne peut fonctionner et s'épanouir sans cette structure hiérarchique qui peut être, selon les circonstances et les secteurs, plus ou moins rigides. Mais même souple, une organisation n’en reste pas moins structurée.

 

Certaines universités françaises sont aujourd’hui fermées depuis plusieurs semaines parce que des étudiants auraient décidé « démocratiquement » de bloquer l’accès aux salles de cours, se prêtant à cette occasion à un véritable saccage du bien public. Ce caractère « démocratique » proviendrait du fait que les étudiants auraient été consultés dans le cadre d’assemblées générales (organisées par les grévistes). Alors l’administration s’incline à l’évocation de ce mot magique. Mais ces fameuses AG court-circuitent précisément les seuls conseils légitimes à l’intérieur desquels siègent des élus, que sont les conseil d’administration (CA), conseils scientifique (CS) et conseil d’étudiants et de la vie universitaire (CEVU). C’est uniquement à l'intérieur de ces cadres légitimes et légaux que la démocratie s'exprime et doit rester cantonnée. En dehors de ces cadres, les étudiants doivent écouter leur professeur s’ils veulent apprendre quelque chose ; et s’ils savent déjà tout, qu’ils ne viennent pas encombrer les bancs de la faculté.

Rien ne peut plus fonctionner en marge de ces cadres dont la découverte et la mise en place ont occupé des siècles d’histoire humaine. Et si la France s’enfonce dans la récession depuis bientôt trois décennies, c’est parce que nous avons cru pouvoir fonctionner en dehors des règles de l’Etat de droit, les seules règles dont le respect conditionne l’épanouissement d’une économie prospère.

 

[1] Mintzberg H. [1990] Le management. Voyage au centre des organisations. Les Editions d’Organisation, Paris.

 [2] Ferry L. [2003] Lettre à tous ceux qui aiment l’école pour expliquer les réformes. Odile Jacob, Paris.

 

 Jean-Louis Caccomo

http://caccomo.blogspot.com

Publié dans Démocratie

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
D
le souvenir du "il est interdit d'interdire" par des intellectuels "de gauche (car, il est bien connu que les intellectuels ne sont que de gauche!!!) explique surement ce qu'il se passe actuellement. élevé dans le respect de la démocratie, je suis écoeuré par la politique de gauche, (menteuse, démago: l'un hais les riches et est imposé ISF, l'autre insulte ceux qui ont voté pour elle en affirmant ne pas avoir cru en ce qu'elle défendait!!! et bien d'autres remarques) et en attente de l'action de notre Président en qui j'ai confiance
Répondre
P
Oui, la hierarchie est nécessaire. Cependant, elle n'est acceptée naturellement que lorsqu'elle est ressentie comme juste et nécessaire. L'autorité est naturelle donc à condition qu'elle soit ressentie comme telle. Il faut, entre autre choses, que les élites soient exemplaires. 
Répondre