Pour une gauche qui tienne la route
Lionel Stoleru m’a adressé ce texte, publié dans « Le Monde » daté 6 juin
Un sondage passé assez inaperçu éclaire d’un jour cru la sociologie française : à la question «Faites-vous confiance à l’économie de marché comme système économique?» la réponse est «oui» pour 80% des citoyens des pays venant du communisme (Russie, Chine, Europe de l’Est), pour plus de 50% des citoyens de tous les pays industrialisés sauf
L’exception française, elle est là : subir un système qu’on n’aime pas et rêver d’un « autre » système dans une utopie déconnectée de la réalité de toute notre planète : le village gaulois Economix contre le reste du monde.
Ce sondage explique à lui seul le « non » au référendum sur l’Europe : l’Union Européenne, c’est le grand marché qui envahit le village gaulois, et on ne va pas voter pour cela !
A un an de l’élection présidentielle, la gauche pourrait, dans un premier temps, se réjouir : plus éloignée idéologiquement du marché que la droite, peut-elle profiter de ce comportement des électeurs, voire l’encourager en les caressant dans le sens du poil ?
Oui, pourrait-on dire, si
Cela ne veut pas dire que, à partir du moment où le marché s’impose à tous, droite et gauche sont bonnet-blanc et blanc-bonnet. L’exemple des Etats-Unis, de l’Angleterre, de l’Allemagne, de
Il faut donc sortir des discours simplistes et approfondir ce que peut être une politique économique de gauche.
La caractéristique fondamentale d’une économie de marché, c’est qu’elle avance en équilibre instable sur une crête bordée de deux précipices : l’inflation d’un côté, le chômage de l’autre. Très précisément, comme on va le voir, l’inflation à droite, le chômage à gauche.
En effet, sans faire un cours professoral, l’équilibre économique est avant tout, en économie de marché, l’équilibre entre l’offre des entreprises et la demande des consommateurs. Si l’offre est, à un certain moment, insuffisante, les prix s’envolent : c’est le cas actuellement pour le pétrole. Si la demande est, à un certain moment, insuffisante, les stocks s’accumulent, les entreprises n’embauchent plus ou licencient, c’est le chômage.
Or, quels sont les remèdes ?
A l’inflation, le remède est d’aider les entreprises à produire plus, en encourageant le capital, en détaxant les investissements, en leur accordant des taux d’intérêt bonifiés. C’est une politique favorable aux entreprises, c’est une politique de droite.
Au chômage, le remède est, depuis Keynes, de relancer la demande par des revenus supplémentaires aux consommateurs, des prestations sociales, des grands travaux initiés par le budget de l’Etat. C’est une politique favorable aux ménages et notamment aux plus modestes, c’est une politique de gauche.
En clair, un pays en inflation a besoin d’un gouvernement de droite, un pays en chômage a besoin d’un gouvernement de gauche. Cela s’est vérifié aux USA où Clinton a combattu le chômage et où Bush combat l’inflation, en Angleterre avec Mme Thatcher et Tony Blair et, à un degré moindre, en Allemagne où le modèle d’économie sociale de marché garantit une plus grande stabilité économique.et politique. Pendant les vingt ans d’inflation de 1960 à 1980,
Oui, mais voilà, une politique de gauche, mais pas n’importe laquelle : une politique anti-chômage en économie de marché, qui s’inscrive dans le fonctionnement international de ce système et n’essaie pas de s’y opposer. Faut-il rappeler que, de 1945 à 1975,
Il est temps, il est grand temps, que la gauche tienne un discours qui la mène à la double victoire : la victoire électorale et la victoire contre le chômage. L’une sans l’autre, c’est en vérité, la défaite, la défaite pour la gauche, la défaite pour
Le contenu technique de ce discours n’est pas tellement difficile à formuler : notre expérience dans le passé, et l’expérience actuelle des autres pays, nous en donnent les références précises. Le rapport M. Camdessus sur le sursaut, le rapport Ch. St Etienne sur la fiscalité sont des guides sérieux. Il reste à en trouver une formulation politique simple qui entraîne la conviction et l’adhésion plutôt que la résignation.
Ce discours de gauche, il tient en ces quelques mots, qui étaient la devise de Pierre Massé lorsqu’il était, auprès du Général de Gaulle, Commissaire au Plan : « accepter les faits, non les fatalités ». Le marché est un fait, le chômage n’est pas une fatalité.
Un pays, tout compte fait, est comme un homme : comme chacun d’entre nous, il a ses forces et ses faiblesses. En économie de marché, les combats d’arrière garde sont des combats perdus, il faut identifier ses points forts et y concentrer l’action.
La gauche a, dans ce contexte, la mission d’assurer tout d’abord une base sociale stable et sécurisée : maladie, chômage, retraite. J’y ai, avec Michel Rocard, apporté ma contribution en créant le RMI, voté à l’unanimité et jamais remis en question. Une armée qui abandonne ses blessés ne sera jamais une armée victorieuse.
Au-delà de cette base sociale,
Elle a ensuite la mission de remettre en route l’économie, aussi bien en soutenant la demande des ménages, donc leur intégration par l’emploi, et la capacité des entreprises que par une maîtrise des charges sociales et du budget de l’Etat.
Elle a enfin, et c’est peut-être là l’essentiel, le devoir de renouer le dialogue social, de créer le débat constructif de la politique contractuelle, de mettre fin au ménage à trois Etat -Syndicats -Patronat pour redéfinir les responsabilités de chacun, de recréer la culture du compromis social où chacun cherche à comprendre ce qui est acceptable par l’autre au lieu de chercher à le faire capituler. La droite n’a jamais rien compris au syndicalisme, seule la gauche peut redonner du lien social à
La fin de règne calamiteuse de l’actuel Président, et les priorités économiques de
Lionel STOLERU
Ancien Secrétaire d’Etat au Plan
Président du Conseil de Développement économique de Paris