Pour une gauche qui tienne la route

Publié le par Lionel Stoleru

Lionel Stoleru m’a adressé ce texte, publié dans « Le Monde » daté 6 juin

 

 

Un sondage passé assez inaperçu éclaire d’un jour cru la sociologie française : à la question «Faites-vous confiance à l’économie de marché comme système économique?» la réponse est «oui» pour 80% des citoyens des pays venant du communisme (Russie, Chine, Europe de l’Est), pour plus de 50% des citoyens de tous les pays industrialisés sauf la France , où elle n’est que de 36%.

 

L’exception française, elle est là : subir un système qu’on n’aime pas et rêver d’un « autre » système dans une utopie déconnectée de la réalité de toute notre planète : le village gaulois Economix contre le reste du monde.

 

Ce sondage explique à lui seul le « non » au référendum sur l’Europe : l’Union Européenne, c’est le grand marché qui envahit le village gaulois, et on ne va pas voter pour cela !

 

A un an de l’élection présidentielle, la gauche pourrait, dans un premier temps, se réjouir : plus éloignée idéologiquement du marché que la droite, peut-elle profiter de ce comportement des électeurs, voire l’encourager en les caressant dans le sens du poil ?

 

Oui, pourrait-on dire, si la Gauche , une fois élue, avait les moyens de respecter de telles promesses électorales, mais tout le monde sait que c’est faux : la gauche, comme la droite, devra gouverner en économie de marché, sauf à quitter l’Union Européenne, à fermer nos frontières, à nationaliser les entreprises, bref à revenir un demi-siècle en arrière. Personne ne le fera. Il n’est pas vrai que la gauche renationalisera EDF après 2007, il n’est pas vrai qu’elle abrogera la réforme des retraites. Promettre des lendemains qui chantent, avant 2007, et qui déchantent après, est-ce digne d’une grande formation démocratique ?

 

Cela ne veut pas dire que, à partir du moment où le marché s’impose à tous, droite et gauche sont bonnet-blanc et blanc-bonnet. L’exemple des Etats-Unis, de l’Angleterre, de l’Allemagne, de la Suède montrent clairement qu’il y a, en économie de marché, des politiques de gauche et des politiques de droite tout à fait distinctes.

Il faut donc sortir des discours simplistes et approfondir ce que peut être une politique économique de gauche.

 

La caractéristique fondamentale d’une économie de marché, c’est qu’elle avance en équilibre instable sur une crête bordée de deux précipices : l’inflation d’un côté, le chômage de l’autre. Très précisément, comme on va le voir, l’inflation à droite, le chômage à gauche.

 

En effet, sans faire un cours professoral, l’équilibre économique est avant tout, en économie de marché, l’équilibre entre l’offre des entreprises et la demande des consommateurs. Si l’offre est, à un certain moment, insuffisante, les prix s’envolent : c’est le cas actuellement pour le pétrole. Si la demande est, à un certain moment, insuffisante, les stocks s’accumulent, les entreprises n’embauchent plus ou licencient, c’est le chômage.

 

Or, quels sont les remèdes ?

 

A l’inflation, le remède est d’aider les entreprises à produire plus, en encourageant le capital, en détaxant les investissements, en leur accordant des taux d’intérêt bonifiés. C’est une politique favorable aux entreprises, c’est une politique de droite.

 

Au chômage, le remède est, depuis Keynes, de relancer la demande par des revenus supplémentaires aux consommateurs, des prestations sociales, des grands travaux initiés par le budget de l’Etat. C’est une politique favorable aux ménages et notamment aux plus modestes, c’est une politique de gauche.

 

En clair, un pays en inflation a besoin d’un gouvernement de droite, un pays en chômage a besoin d’un gouvernement de gauche. Cela s’est vérifié aux USA où Clinton a combattu le chômage et où Bush combat l’inflation, en Angleterre avec Mme Thatcher et Tony Blair et, à un degré moindre, en Allemagne où le modèle d’économie sociale de marché garantit une plus grande stabilité économique.et politique. Pendant les vingt ans d’inflation de 1960 à 1980, la France a été gouvernée à droite. Quand le chômage est apparu massivement, elle a élu la gauche en 1981. Sans le chômage, F. Mitterrand n’aurait pas été élu. En 2007, seule une politique de gauche permettra de maîtriser le chômage.

 

Oui, mais voilà, une politique de gauche, mais pas n’importe laquelle : une politique anti-chômage en économie de marché, qui s’inscrive dans le fonctionnement international de ce système et n’essaie pas de s’y opposer. Faut-il rappeler que, de 1945 à 1975, la France a vécu en plein-emploi en économie de marché, faut-il rappeler qu’en 2006, les USA et l’Angleterre sont en plein-emploi en économie de marché ? Faut-il rappeler qu’il y a des moyens économiques plus subtils et plus efficaces pour limiter les licenciements que de les interdire par la loi ?

 

Il est temps, il est grand temps, que la gauche tienne un discours qui la mène à la double victoire : la victoire électorale et la victoire contre le chômage. L’une sans l’autre, c’est en vérité, la défaite, la défaite pour la gauche, la défaite pour la France.

 

Le contenu technique de ce discours n’est pas tellement difficile à formuler : notre expérience dans le passé, et l’expérience actuelle des autres pays, nous en donnent les références précises. Le rapport M. Camdessus sur le sursaut, le rapport Ch. St Etienne sur la fiscalité sont des guides sérieux. Il reste à en trouver une formulation politique simple qui entraîne la conviction et l’adhésion plutôt que la résignation.


Ce discours de gauche, il tient en ces quelques mots, qui étaient la devise de Pierre Massé lorsqu’il était, auprès du Général de Gaulle, Commissaire au Plan : « accepter les faits, non les fatalités ». Le marché est un fait, le chômage n’est pas une fatalité.

 

Un pays, tout compte fait, est comme un homme : comme chacun d’entre nous, il a ses forces et ses faiblesses. En économie de marché, les combats d’arrière garde sont des combats perdus, il faut identifier ses points forts et y concentrer l’action. La France n’en manque pas : des formations de haut niveau, des entreprises n° 1 mondiales, des secteurs de haute technologie, des créations d’entreprise en plein essor, une épargne nationale abondante, des services de qualité etc…

 

La gauche a, dans ce contexte, la mission d’assurer tout d’abord une base sociale stable et sécurisée : maladie, chômage, retraite. J’y ai, avec Michel Rocard, apporté ma contribution en créant le RMI, voté à l’unanimité et jamais remis en question. Une armée qui abandonne ses blessés ne sera jamais une armée victorieuse.

 

Au-delà de cette base sociale, la Gauche a vocation à assurer la justice sociale en corrigeant les inégalités que crée inévitablement le marché : redistribution fiscale, santé, retraite et éducation sont des priorités politiques absolues.

 

Elle a ensuite la mission de remettre en route l’économie, aussi bien en soutenant la demande des ménages, donc leur intégration par l’emploi, et la capacité des entreprises que par une maîtrise des charges sociales et du budget de l’Etat.

 

Elle a enfin, et c’est peut-être là l’essentiel, le devoir de renouer le dialogue social, de créer le débat constructif de la politique contractuelle, de mettre fin au ménage à trois Etat -Syndicats -Patronat pour redéfinir les responsabilités de chacun, de recréer la culture du compromis social où chacun cherche à comprendre ce qui est acceptable par l’autre au lieu de chercher à le faire capituler. La droite n’a jamais rien compris au syndicalisme, seule la gauche peut redonner du lien social à la France pour que tous nos concitoyens avancent ensemble.

 

La fin de règne calamiteuse de l’actuel Président, et les priorités économiques de la France actuelle sont telles qu’elles donnent « objectivement » à la gauche une quasi certitude de gagner en 2007. Encore faut-il qu’elle ne se trompe pas de combat.

 

Lionel STOLERU

 

Ancien Secrétaire d’Etat au Plan

Président du Conseil de Développement économique de Paris

Publié dans Réflexion politique

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V
Regarder la rééalité en face, c'est aussi constater que la méthode keynésienne de relance par la demande ne marche pas:c'est ce que la gauche a pu constater de 81 à 83, jusqu'à aboutir au plan Delors Mauroy (en réalité, relancer la demande en permanence, ce n'est pas du vrai keynésianisme)<br /> Le rapport Pébereau montre qu'en 10 ans, seuls 3 pays parmi les 15 de l'UE (avant élargissement) ont augmenté leur dette en % du PIB: la Grèce, l'Allemagne et la France (le pays qui l'a le plus augmenté). Les trois pays qui ont le plus fort taux de chômage parmi les 15 aujourd'hui sont exactement les même! <br /> Clinton et Blair ont fait de l'excédent budgétaire alors que Busch laisse filer les dépenses.<br /> Regarder les faits, être de gauche, c'est comprendre l'économie du 21 ème siècle, pas celle du 20ème.<br /> Christian Blanc décrit très bien cette nouvelle économie dans son livre "la croissance ou le chaos" On peut aussi en trouver une belle description dans les vidéos publiés par Energies2007 http://www.energies2007.fr/
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J
Il serait, en effet, extrêmement positif pour le nécessaire débat démocratique qui doit préceder le vote majeur de 2007 que le principal parti d'opposition nous présente un VRAI programme et non pas un ramassis de propositions incohérentes entre elles dont la seule finalité est de rassembller le camp socialiste pour assurer sa présence effective au second tour.Qui peut, décemment croire au sérieux d'un SMIC à 1.500 euros d'ici à 2012? Sauf, peut-être en cas de forte inflation ... C'est une arnaque et c'est, en outre, extrêmement dangereux pour l'indispensable respect d'une certaine hiérarchie des salaires. D'ores et déjà, des ouvriers qualifiés gagnent à peine plus que le SMIC servi au manoeuvre "balai".
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F
Le monde du 10 juin, p. 22.
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