Méditerranée

Publié le par Bernard Poignant

Par Bernard Poignant

Pour les Français, c’est une chanson. Des vacances. Des croisières, des plages, du soleil. C’est surtout une mer entourée des conflits les plus intenses du monde. Israéliens et Palestiniens ; guerres récentes de l’Ex-Yougoslavie et problèmes du Kosovo ; Chypriotes du Nord et du Sud ; Liban convoité par la Syrie ; Grecs et Turcs aujourd’hui apaisés mais récemment opposés ; Algériens et Marocains toujours frères séparés ; Espagnols et Marocains se disputant l’îlot « Persil » en 2002, avec Ceuta et Melilla en arrière-plan ; Libye encore tenue à distance. Sans oublier d’autres guerres : celle de Suez contre l’Egypte en 1956 pour un canal ; celle d’Algérie de 1954 à 1962 pour son indépendance.

La Méditerranée est pourtant notre histoire. Celle que décrit Fernand Braudel : « Voyager en Méditerranée, c’est trouver le monde romain au Liban, la préhistoire en Sardaigne, les villes grecques en Sicile, la présence arabe en Espagne, l’Islam turc en Yougoslavie. C’est plonger au plus profond des siècles, jusqu’aux constructions mégalithiques de Malte ou jusqu’aux pyramides d’Egypte ». (F. Braudel « La Méditerranée, l’espace, l’histoire » Flammarion, 1985 page 8) Ce sont trois civilisations : « l’Occident tout d’abord, peut-être vaut-il mieux dire la Chrétienté, vieux mot trop gonflé de sens ; peut-être vaut-il mieux dire la Romanité. Le second univers, c’est l’Islam. Le troisième, c’est l’univers grec, l’univers orthodoxe… » (ibid, pages 158-159). Mostar en Bosnie était le pont « symbole » de ce carrefour. Il a été détruit puis reconstruit pour renouer le lien.

Un philosophe roumain, Andrei Plesçu, est encore plus direct dans la Rencontre Européenne de juillet 2007 organisée par la fondation « Notre Europe » : « L’Europe, c’est essentiellement et originellement l’espace méditerranéen. Saint Augustin est né au Nord de l’Afrique avant de devenir l’un des fondateurs du Christianisme en Europe. Tout ce qui se passe dans le Maghreb a une qualité nutritive pour la mentalité européenne. L’Afrique du Nord est aussi européenne. C’est là que les mélanges de cultures et de traditions ont lieu, qui ont nourri les origines de l’Europe et nourriront peut-être aussi son avenir ».

La Méditerranée, c’est notre voisinage sur la planète. Un coup d’œil sur une carte suffit à cerner la situation. Nous ne sommes pas un pays continent protégé par des océans et par des forêts comme les Etats-Unis ou le Brésil, par des immensités de déserts froids ou chauds comme la Russie ou la Chine. Nous sommes un ensemble de nations, façonnées dans un dédale de péninsules, d’îles, de mers fermées.

La Méditerranée nous met en contact direct avec le champ de bataille du monde de Beyrouth à Gaza jusqu’à Kaboul, par Bagdad et Téhéran. Une partie essentielle de nos sources d’énergies sont là ou passent par là.

Dans ces pays, la démographie est vivante et la pauvreté est présente. L’Afrique sub-saharienne n’est pas loin. Les rives de la Méditerranée sont une première marche vers les lumières de l’abondance européenne. Là, en même temps, se propage un courant religieux de fanatisme, source de terrorisme.

Personne ne peut se désintéresser de cette mer et des populations qui la bordent. L’esprit de réconciliation franco-allemand, à la source de l’Union Européenne, peut inspirer d’autres peuples sans que nous ayons de leçons à donner. Le principe de laïcité peut progresser dans les consciences pour que tolérance et respect imprègnent une façon de vivre ensemble. L’effort de développement doit guider nos politiques européennes. Aucune barrière, aucun mur, aucun fil barbelé n’empêchera de jeunes hommes de franchir la Méditerranée. Personne ne quitte son « chez soi » de gaîté de cœur. Seules la guerre et la misère poussent à partir. Un pays riche et vieillissant attire toujours la jeunesse de pays pauvres et féconds.

L’Europe a évidemment conscience de tout cela. Les 27 et 28 novembre 1995 une conférence en Espagne a lancé un partenariat euro-méditerranéen, dit processus de Barcelone. Il regroupe les Etats de l’Union européenne et 10 Etats du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Des fonds communautaires lui sont consacrés (5,35 milliards d’€uros pour la période 2000-2006) couvrant plusieurs domaines, de l’économie à la culture, en passant par le social et les finances. Des accords d’association ont été conclus, des contrats entre entreprises ont été noués, des prêts ont été consentis, des rencontres ont été favorisées. Dix ans après, en 2005, le bilan a été jugé utile mais insuffisant voire loin des ambitions affichées. Conflits, tensions, guerres pèsent fortement sur ce partenariat, en premier lieu le conflit israélo-palestinien.

Dans ce contexte, le Président de la République Française a lancé l’idée d’Union méditerranéenne comme existe l’Union Européenne. Personne ne peut rejeter l’idée à priori dès lors qu’elle sera plus claire. Trois conditions sont à remplir ou à respecter : la France ne doit pas jouer « perso ». Une telle initiative est à mettre sur la table du Conseil européen, sur celle de la Commission européenne et devant le Parlement. Deuxièmement, toute l’Europe doit être concernée et pas seulement sa moitié Sud. Enfin, l’idée ne doit pas être suspectée d’arrière-pensée. Si sa motivation est une échappatoire à l’adhésion de la Turquie, elle échouera car l’Europe se divisera. Les négociations avec ce pays, ouvertes le 3 octobre 2005, doivent être menées loyalement, en rendant possibles toutes les hypothèses, du statu quo à l’entrée en passant par le partenariat privilégié. Sans respect de la parole donnée, il n’y a pas de construction européenne possible.

Tout cela plaide pour une pédagogie accentuée de l’Europe, de son histoire, de ses projets, de son destin. Bref de son sort au 21ème siècle.

Bernard Poignant, député européen PSE

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M
Le président français Nicolas Sarkozy a invité aujourd'hui à Tanger les chefs d'Etat de la Mediterranée à une réunion en France en juin 2008 pour jeter les bases "d'une Union économique, politique et culturelle".(Avec AFP). ça démarre......!  Une grande initiative commence à prendre forme...
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M
Sur ce point capital de savoir si l'Union Méditerranéenne doit concerner tous les pays d'Europe (ce que souhaite, à mon avis à tort, le socialiste Bernard Poignant)  ou au contraire seulement les pays intéressés par la Méditerranée, Jack lang vient de se prononcer ;  il "approuve totalement l'idée de Nicolas Sarkozy de créer une Union des Etats riverains de la méditerranée"...Il veut organiser au printemps un colloque international sur cette question.....On peut se réjouir de voir un socialiste soutenir avec tant de force ce qui est sans doute un des grands projets du quinquennat...et au delà......Nous devons nous engager sans hésitation en ce sens
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M
Je ne suis pas d'accord avec Bernard Poignant sur un point....Pour que l'Union Méditerranéenne  réussisse, il ne faut surtou pas que cela concerne toute l'Europe (ce qui est le cas aujourd'hui et explique l'échec absolu du dialogue Euro méditerranée), mais SEULEMENT les pays d'Europe concernés et fortement intéressés...C'est la condition du succès....En tous cas je suis heureux de voir un socialiste soutenir cette idée d'Union Méditerranéenne (DSK l'avait , en son temps,vaguement ébauchée).....J'espère qu'il s'engagera concrètement pour la faire éclore.....
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M
Et oui c'est vrai, nous ne sommes pas en guerre civile....L'ouverture, comme on le disait par ailleurs, poursuit son chemin, bien sereinement....
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B
oui, plus trés civile. jmb
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