Les trois gauches
Les trois gauches
Reprenant et actualisant une tribune que j’ai eu l’occasion de signer dans Libération, je voudrais tenter une « classification » des gauches en France, et encourager l’une d’elles à se manifester au grand jour.
Trois courants de pensée traversent la gauche française. Pour les caractériser schématiquement, on peut retenir deux critères : celui de leur attitude face au marché, celui de leur conception du progrès social.
La gauche archaïque manifeste une hostilité viscérale vis à vis du marché qu’elle voudrait contraindre et enfermer dans une réglementation émanant d’un Etat, par définition omniscient et omnipotent. Elle estime possible et nécessaire d’administrer l’économie au moyen de règles contraignantes et à l’intérieur d’illusoires frontières. Quant au progrès social elle l’exprime dans un « toujours plus » égalitariste, sans tenir compte des possibilités ou des réalités politiques et économiques. Curieusement pour des mouvements qui ne renient pas l’héritage marxiste, l’économie et la production sont destinées à suivre, l’essentiel est de redistribuer, ou de prétendre le faire. Deux termes pourraient caractériser cette gauche, ceux de réglementation et d’égalitarisme.
La gauche traditionnelle, qui se découvre sociale démocrate trente ans après le reste de l’Europe, a vis à vis du marché une attitude faite de méfiance plus que de franche hostilité ; elle en reconnaît du bout des lèvres certaines vertus mais la crainte qu’elle éprouve pour ses conséquences sociales la conduit à vouloir en limiter strictement le champ. Consciente, avec nostalgie, qu’elle ne peut plus administrer l’économie, elle déclare vouloir la « réguler », en confiant cette responsabilité exclusive à un Etat interprète et défenseur unique de l’intérêt général, agissant par l’entremise d’ une administration pléthorique et envahissante. Cette régulation nationale a pour objectif la justice sociale, entendue comme une égalité républicaine théorique que l’on prétendra atteindre par la mise en œuvre de mécanismes globaux et centralisés. Pour caractériser cette gauche sociale-démocrate, on peut retenir les termes de régulation étatique et d’égalité formelle.
La gauche moderne ou sociale libérale, regarde le marché comme une donnée incontournable et veut utiliser toutes les opportunités d’innovation et de croissance qu’il offre. Consciente des inégalités qu’il provoque elle estime, elle aussi, qu’une régulation s’impose mais elle ne l’attend que partiellement d’un Etat, acteur important mais pas unique de la société. C’est de la société elle-même, de sa prise de responsabilité, que doit émaner pour une large part la régulation : des collectivités locales qui doivent pouvoir décider et gérer au plus près des réalités et des attentes; des médias qui doivent permettre la transparence nécessaire au contrôle démocratique ; des partenaires sociaux qui doivent pouvoir prendre toute leur place dans l’évolution du « social » ; des associations, des citoyens dont les initiatives et l’exigence de responsabilité contribueront à transformer et à revitaliser la démocratie. Pour cette gauche responsable, la justice sociale ne peut résulter de réglementations nationales et de caractère général, mais d’actions ciblées, dirigées en priorité vers les plus faibles et les plus vulnérables, destinées à servir de tremplin vers une « égalité des possibles ». Pour caractériser cette gauche moderne les termes de responsabilité et d’équité sont les plus adaptés.
Aucun parti n’est aujourd’hui constitué d’une seule « gauche », les trois se retrouvent parfois cohabiter plus ou moins harmonieusement, comme c’est le cas au sein du Parti socialiste. Dans ce parti, la gauche traditionnelle est dominante. Libre de toute « conviction pesante », elle est disponible pour les synthèses les plus improbables, prête à des propositions d’inspirations diverses pourvu qu’elles puissent s’intégrer dans un discours conforme aux dogmes. La tendance archaïque participe fortement au débat, auréolée du curieux « prestige » de ceux qui s’obstinant à ignorer l’évolution du monde, défendent encore au 21ème siècle, avec une constance qui force l’admiration militante, les idées et les projets du Front Populaire et de
Parce que je le sais désireux de rénover la pensée, la pratique et la stratégie d’une gauche qu’il veut imaginer responsable, parce que je le crois attentif à ce qu’expriment à l’extérieur de nos frontières nombre de mouvements sociaux-démocrates ou libéraux européens, je souhaite que le mouvement « Initiative Européenne et Sociale », sache faire sortir le social libéralisme de sa clandestinité pour lui permettre d’irriguer un centre gauche audacieux et modernisé.
Marc d’Héré