L'autonomie des universités? Une réforme attendue

Publié le par Monique Canto-Sperber

Monique Canto-Sperber, philosophe, directrice de l'Ecole Normale Supérieure, m'adresse cette tribune qu'elle a publiée aujourd'hui dans Le Figaro....


De quoi souffrent les universités françaises ? De la difficulté où elles sont de conduire une politique efficace et offensive en matière de formation et de recherche. Pour quelle raison ? Parce qu’elles ne disposent pas des moyens institutionnels et matériels qui le leur permettraient. Quel intérêt pour le pays ? Un intérêt colossal et évident: la qualité des formations et l’excellence de la recherche, dans les sciences comme dans les lettres, font d’une nation un acteur international. Si un pays ne dispense pas une formation intellectuelle de valeur,  condition d’une insertion professionnelle sérieuse, s’il ne suscite pas d’innovations scientifiques et technologiques, il est privé d’avenir.

Le problème est simple. Le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche est devenu un monde internationalisé, réactif et concurrentiel. Les établissements d’enseignement supérieur français ne peuvent s’y affirmer de façon autonome et responsable, car ils n’ont pas la capacité de réagir vite, de concentrer des moyens sur un domaine de recherches, d’adapter  la politique de formation, de définir une stratégie de recrutement des enseignants en phase avec leurs objectifs de recherche. Le mode de gouvernance actuel des établissements, leur dépendance à l’égard de l’État, la faiblesse de leurs ressources sont des handicaps majeurs.

Le projet de loi portant organisation de la nouvelle université permettra-t-il de remédier à cet état de choses malheureux et inquiétant ?

J’évoquerai seulement ici le Titre III du projet de loi qui traite des « nouvelles responsabilités » des universités et renforce leur autonomie. C’est une mesure fortement désirée et dont l’occasion ne se reproduira pas avant longtemps.

La mention de responsabilités renforcées en matière budgétaire signifie que le contrat  de l’établissement distinguera désormais, au sein de la dotation d’État, les montants affectés à la masse salariale, les dépenses de fonctionnement et les dépenses d’investissements. L’élément nouveau par rapport à la situation actuelle tient surtout au fait que l’établissement gèrera librement la répartition des crédits de la masse salariale (tandis que les salaires sont aujourd’hui payés par l’État), mais sans pouvoir créer d’emploi. L’autre nouveauté est qu’il n’y aura plus d’affectation détaillée des crédits de fonctionnement et d’investissement. Est ainsi donnée au chef d’établissement une possibilité remarquable de construire une politique pédagogique et scientifique dotée de priorités et d’objectifs. Encore faut-il qu’il devienne dans les faits un interlocuteur responsable, en position de négocier et de s’accorder avec les financeurs publics, et qu’il dispose de moyens, même non affectés, adaptés à ses missions. Par exemple, si la maintenance du patrimoine de l’établissement est évaluée à environ 16 euros le m2 pour une surface de 105 000 m2, il faudra bien inclure aussi dans la dotation une somme de 1 680 000 euros, sans quoi l’établissement,  au lieu d’être responsable et autonome, sera de nouveau contraint de quémander l’aide de l’État.

Le texte évoque également des responsabilités élargies pour les ressources humaines, autrement dit une latitude nouvelle laissée à l’établissement de recruter sous contrat, même de façon permanente, des enseignants et des chercheurs. Là encore, c’est une mesure qui devrait permettre de mobiliser des forces pour une recherche émergente, en particulier d’attirer des enseignants étrangers qui sont des experts reconnus dans le domaine, - chose aujourd’hui difficile.   

Les établissements pourraient également jouir de la pleine propriété de leurs biens immobiliers et mobiliers (article 26). Ils pourraient évaluer  leurs richesses, faire de leurs biens une source de revenus,  concentrer leurs locaux, voire étendre leurs surfaces. Là encore, c’est une condition d’exercice tout à fait nouvelle des responsabilités de l’établissement,  qui lui confère des moyens accrus au service d’une politique scientifique. Toutefois, une telle mesure doit s’accompagner d’un financement réaliste de la réhabilitation des bâtiments universitaires. Car les établissements ne sauraient supporter la charge – qui pourrait aller jusqu’à deux fois leur budget annuel - de malfaçons de locaux qu’ils n’ont pas fait construire ou qu’ils n’ont pas eu les moyens d’entretenir en toute responsabilité.

Grâce à la nouvelle loi, les établissements d’enseignement supérieur et de recherche commenceraient de se transformer en acteurs libres de définir leur politique de formation et de recherche. Ils deviendraient dès lors responsables de leurs résultats, chacun d’eux montrant ce qu’il vaut, comme dans tous les systèmes concurrentiels. Si se met en place par ailleurs une évaluation non faussée des formations, recherches et établissements, qui détermine leur financement, la conséquence inévitable de cette nouvelle donne sera une différenciation marquée des établissements d’enseignement supérieur et de recherche. 

Là est le véritable choix pour ceux qui nous gouvernent. Iront-ils dans ce sens, visant à identifier des pôles d’excellence, en matière de formation et de recherche,  afin de leur donner les moyens financiers de se renforcer, et d’être mieux classés sur la scène internationale ? Dans ce cas, que deviendront les autres établissements ?

L’ENS est un établissement d’enseignement supérieur à statut dérogatoire. Partenaire de nombreuses universités, elle est membre de la Conférence des Présidents d’Universités (comme les autres écoles normales, l’EHESS, l’EPHE). De l’ENS sont issus de nombreux prix Nobel français en sciences et les huit médailles Fields françaises, palmarès en mathématiques dont aucun autre établissement au monde ne peut se prévaloir. Ce cas est loin d’être unique. Existe en France dans certaines filières universitaires et dans quelques grandes écoles un bon système de formation des élites, mais en raison de structures archaïques et faute de moyens, ce terreau reste à moitié en friche. Même si la nouvelle loi remédie aux défauts institutionnels majeurs, elle n’aura de portée positive que si les moyens de financement sont appariés. Un fait donnera une idée du fossé à franchir. Le California Institute of Technology, une des premières universités mondiales, compte le même nombre d’étudiants (2200) et d’enseignants que l’École normale supérieure. Son budget courant annuel est 8 fois celui de l’ENS. Face à une telle disparité il est remarquable que les établissements français parviennent tant bien que mal à surnager.

Monique Canto-Sperber

 

Publié dans Education - recherche

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M
Une "feuille de route" pour le CNRS, impliquant "une évolution de (son) organisation interne" tenant compte du changement de son "environnement scientifique", a été envoyée par la ministre de la Recherche Valérie Pécresse à la présidente du Centre national de la Recherche scientifique.Elle demande à Mme Bréchignac de "réfléchir à l'opportunité de substituer aux départements scientifiques actuels une structuration en grands instituts nationaux de recherche (...) favorisant les coopérations entre les divers acteurs et constituant un ensemble réactif placé sous la responsabilité de la direction générale du CNRS".Source: AFP 
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M
L'ancien ministre socialiste Jack Lang "approuve" la réforme des universités, et estime qu'une "opposition digne de ce nom doit être à la fois ferme, combative et en même temps honnête intellectuellement".(Avec AFP).
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J
D'accord avec Alain Nérot sur la sélection à l'entrée à l'université. C'est d'ailleurs ce qui était attendu par une bonne partie de l'électorat de NS. J'ai peur que les réformes annoncées (service minimum, Education Nationale, Justice, Université...) ne soient pas à la hauteur des enjeux et qu'elles n'aient pas l'ampleur souhaitée, à force de concessions aux uns et aux autres... Mais soyons optimistes et nous jugerons sur les actes...Gérard Jaulin
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M
FACE aux critiques des syndicats d'étudiants et d'enseignants, qui étaient reçus hier soir par Nicolas Sarkozy à l'Élysée, l'avant-projet de loi sur les universités pourrait être amendé dès la fin de la semaine. Le texte, qui devait être présenté en Conseil des ministres hier, le sera le 4 juillet pour permettre au gouvernement de répondre aux inquiétudes qui sont apparues sur trois points : la composition des conseils d'administration, l'autonomie dite « à la carte » et une possibilité de sélection au niveau du master. (Le Figaro.fr)Espérons que cela ne videra pas le texte d'une grande partie de son efficacité....
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A
Très bel article, mais, ce qu'oublie de souligner Mme Canto-Sperber, c'est que si l'ENS a de beaux résultats c'est aussi parce qu'il y a une très forte sélection pour entrer à l'ENS, comme pour les écoles d'ingénieurs et les écoles de commerce ou de Sciences Politique. Quand acceptera-t-on en France que la Bac n'est pas un passeport pour l'Université mais un diplome de fin d'études secondaires et qu'il doit y avoir une sélection pour entrer à l'université, comme ceci se pratique dans le monde entier. Entendre ce matin sur France-Inter (ou hier?) Mme Valérie Pécresse affirmer qu'il ne faut pas de sélection est navrant et va limiter la portée de la réforme envisagée.Alain
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